MARX AU 21ème SIECLE ?

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    LE DETERMINISME HISTORIQUE dans le marxisme.

    Nous avons intitulé cette rubrique ainsi. On peut nous le reprocher. On devrait dans la norme parler du "matérialisme historique" chez Marx. Nous avons fait ce choix car il nous paraît que le matérialisme historique, défini comme tel seulement par Engels, cache en réalité un déterminisme historique, ce que Staline avait parfaitement bien assimilé, et ne tentait pas de cacher, comme ses prédécesseurs.

    Nous proposons ici:

    - une analyse théorique du déterminisme historique chez Marx et les marxistes

    -L'usage qu'en ont fait les bolchéviks: l'impossibilité de la 3ème voie ou des voies multiples

    (Critique de l'économie politique de Marx, commentée par Gramsci
    Le matérialisme historique

    Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s'y substituent avant que les conditions d'existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société. C'est pourquoi l'humanité ne se pose jamais que des problèmes qu'elle peut résoudre, car, à y regarder de plus près, il se trouvera toujours, que le problème lui-même ne surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà ou du moins sont en voie de devenir.

    À grands traits, les modes de production asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne peuvent être qualifiés d'époques progressives de la formation sociale économique. Les rap­ports de production bourgeois sont la dernière forme contradictoire du processus de produc­tion sociale, contradictoire non pas dans le sens d'une contradiction individuelle, mais d'une contradiction qui naît des conditions d'existence sociale des individus; cependant les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent en même temps les conditions matérielles pour résoudre cette contradiction. Avec cette formation sociale s'achè­ve donc la préhistoire de la société humaine.)

     

     

    -ANALYSE THEORIQUE

     

      1)Le matérialisme historique chez Marx et les marxistes.

      Qu'est-ce que le matérialisme d'une façon générale ? Son objectif est d'affranchir l'esprit des explications métaphysiques et religieuses sur l'origine du monde, sur l'évolution des sociétés, sur la formation des idées, et de rechercher des explications dans la science, avec l'aide de la raison. Il se présente donc comme une émancipation des superstitions, des croyances.

    Le matérialisme bien compris veut que la conscience ne préexiste pas à l'existence.

    Comment la question est-elle vue par Marx ? On retrouve chez ce dernier la définition générale sous-jacente ci-dessus, mais rendue relativement secondaire par d'autres considérations.

    C'est Engels qui définit l'expression:

    "Jusqu'à présent toute l'histoire a été l'histoire des luttes entre les classes; ces classes sociales en lutte sont toujours le produit des relations de production et d'échange, en un mot des rapports économiques de leur époque; ainsi à chaque moment la structure économique de la société constitue le fondement réel par lequel doivent s'expliquer en dernier ressort toute la superstructure des institutions juridiques et politiques, ainsi que les conceptions religieuses, philosophiques et autres, de toute période historique. Par là l'idéalisme a été chassé de son dernier refuge, la conception de l'histoire, et une conception matérialiste de l'histoire a été donnée (Antidüring).

    On trouve la même chose chez Marx dans "critique de l'économie politiques" de 1859.

    D'où : -L'existence est subordonnée aux rapports économiques, à l'infrastructure ; dans le cas présent il s'agit des rapports capitalistes.

    Mais Marx y ajoute au fil de ses écrits:

    -Ces rapports capitalistes s'intègrent dans des lois de l'histoire qui veulent qu'ils se produisent après les rapports féodaux et précèdent le communisme. Henri Lefebvre en 1947 résume ceci de la façon suivante dans "le matérialisme dialectique" : l'Univers est engagé dans une évolution ascendante atteignant des niveaux successifs où un plus haut degré de complication quantitative fait apparaître nécessairement, par une transformation brusque, des changements qualitatifs entièrement nouveaux.

    Dans la vision marxiste, l'histoire est engagée dans un processus ascendant, malgré des accidents, dans le cadre d'un évolutionnisme nécessaire, donc déterminé, vers le progrès humain, et le communisme tel que décrit par Marx.

    Ce dernier mêle la dialectique de Hegel avec le matérialisme des philosophes des Lumières, plus un évolutionnisme déterminsite qui est celui de la bourgeoisie libérale capitaliste, et s'y ajoute le messialisme judéo chrétien qui annonce le communisme. Le tout a été défini comme étant un résultat scientifique, c'est à dire la vérité, au nom duquel les bolchéviks, même ultraminoritaires, vont prendre le pouvoir en octobre 1917, se considérant dans la droite ligne du sens de l'histoire.

     

    -Le moteur du passage de rapports économiques à d'autres rapports économiques est constitué par le développement des forces productives, c'est-à-dire les richesses marchandes. Ce développement rend les rapports économiques obsolètes et oblige à en construire d'autres. Mais sont inclues dans les richesses marchandes la « classe révolutionnaire » qui bouscule les rapports de production pour permettre son émancipation et la continuité dans la croissance des forces productives. Marx suppose donc qu'il y a toujours une classe révolutionnaire dont le destin est lié aux forces productives et à leur croissance.

    -L'un des éléments également très important des forces productives, que la classe révolutionnaire va utiliser pour mettre fin aux anciens rapports de production, est la science, et en particulier son expression la plus achevée dans la société industrielle : le machinisme, qui, une fois l'exploitation terminée par la prise du pouvoir par le prolétariat, doit permettre d'accéder au communisme .

    -Le développement des nouvelles forces productives doit naturellement mettre fin, à moment donné aux vieilles classes sociales, à la religion, aux traditions, aux explications métaphysiques anciennes, à la philosophie, et doit produire l'homme nouveau, débarrassé des comportements anciens, désaliéné, capable de sortir de la préhistoire pour accéder à l'histoire humaine..

     

    Reprenons le contenu et le sens de ces différents points :

     

    a)L'existence détermine la conscience.

     

    « Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience » (Marx. Critique de l'Economie politique , 1857, Tome I, La Pléiade, p272-273 sq.). Cette affirmation sera celle des existentialistes, en particulier Sartre.

    Rubel qui commente les textes de Marx souligne que la négation de l'autonomie de la conscience donne toute sa signification au « matérialisme » de Marx ». Et il cite un passage de «  L'Idéologie allemande  » (p 1057, 1845-46, Œuvres III) dans lequel Marx indique que la morale, la religion, la métaphysique, et toute idéologie, de même que les formes de conscience qui leur correspondent, n'ont pas d'autonomie, pas d'histoire, pas d'évolution en tant que telle…C'est l'avancement dans le développement de la production matérielle qui modifie les idées, les façons de penser.

    Il n'y a, à notre avis, pas plus de conscience qui détermine l'existence sociale que d'existence sociale qui détermine de façon mécaniste la conscience. La dialectique veut justement qu'elles interfèrent l'une sur l'autre. Selon nous, les deux ne peuvent exister l'une sans l'autre, ou préalablement à l'autre, elles se conditionnent mutuellement. Nous reprenons ici l'idée, chère à Edgar Morin, de l'interaction et de l'interdépendance des éléments qui paraissent s'opposer mais qui en réalité se combinent et se complètent. Cependant si l'existence sociale pèse d'un poids considérable, l'humanité parvient à s'en émanciper relativement, en luttant précisément contre le système dont elle devine, dont elle sent l'impact sur la conscience. C'est la conscience du conditionnement qui permet d'envisager le dépassement du système social ou sa modification.

    Il faut reconnaître cependant à Marx le mérite d'avoir parfaitement bien compris comment les hommes sont conditionnés (le mot est de nous, Marx dirait plutôt « déterminés ») par leur position sociale et leur place dans la production. Mais il n'est pas possible d'en conclure qu'il y a là un déterminisme automatique de cette position quant aux idées et à la conscience. C'est d'ailleurs bien cette idée qui a inspiré Lénine sur l'avant-garde révolutionnaire, ou encore, Marx lui-même sur la possibilité pour les intellectuels, ou une partie de la classe bourgeoise de défendre les prolétaires (les intellectuels feraient partie de la « classe pour soi »). Il réintroduit bien la conscience par l'intermédiaire de la « classe révolutionnaire », partie intégrante des forces productives, qui va contester les rapports de production déterminant l'existence, et vaincre ces rapports. Selon lui, cela passe par la "compréhension scientifique des lois de l'histoire".

    Il y a cependant des comportements que Marx exclut de son analyse. Par exemple, comment des classes sociales défavorisées, n'ayant pas vocation à être révolutionnaires selon lui, les paysanneries, ont pu de leur propre chef concevoir des revendications propres à modifier les rapports de production et la production matérielle, par exemple l'abolition des privilèges féodaux, l'exigence de la propriété intégrale de la terre pour les paysans (la restitution de la terre des ancêtres en Amérique latine), la démocratie communale, la démocratie à la base qu'on retrouve dans toutes les paysanneries du monde, l'organisation collective du travail quand c'est nécessaire, et tout ceci sans les inclure dans une vision prolétarienne ? La paysannerie n'a pas eu besoin de parti révolutionnaire pour concevoir cela.

    La conscience des effets possibles de l'obtention de ces revendications existait bien préalablement à une augmentation de la production matérielle pour chacun, mais dans une perspective qui n'était pas celle de Marx. Ce dernier en effet conteste la capacité de la petite propriété paysanne à augmenter la production ainsi que la possibilité d'être une classe révolutionnaire.. Et d'ailleurs les revendications de propriété collective ou individuelle de la terre, comme au Mexique en 1910, ou en Russie en 1917, ou aujourd'hui dans une grande quantité de pays du Tiers monde, sont un paradoxe pour les marxistes, une contradiction dite réactionnaire, par rapport à la nécessité historique de la disparition de la classe paysanne au profit d'espaces agricoles industriels où ne travailleraient que des prolétaires…. Les lois de l'histoire, selon Marx, ne font ici que le jeu des grands propriétaires terriens ou des grosses firmes. C'est pourquoi les partis communistes, après l'échec de l'URSS, se sont mis à défendre la paysannerie mais dans une perspective purement électoraliste.

    Rappelons que cette question a été tranchée contre les paysans en URSS en 1929 (une grande partie d'entre eux ont été emmenés dans les goulags) ; elle a été au cœur de discussions très vives en Amérique latine entre les communistes et les communautés indiennes, ces dernières voulant garder ou récupérer leurs terres individuelles et collectives, dans un espace gérée par elles, contre toute idée d'espaces industriels agricoles. On retrouve cette controverse au niveau littéraire entre les écrivains Arguedas, d'origine indienne, et Vargas Llosa, ancien communiste acquis à l'idée de l'efficacité des grandes propriétés terriennes.

    C'est aussi parce que les humains ont perçu leur conditionnement possible par la richesse (richesse matérielle ou richesse marchande) que les tribus africaines, vues comme étant primitives par les occidentaux, limitaient leur production au strict minimum (Marschall Shallins,1972, Age de pierre, âge d'abondance , Gallimard 1976) ou détruisaient leur surplus dans des fêtes annuelles. Traités d'imprévoyants par les occidentaux, les anthropologues sérieux ont au contraire reconnu qu'il y avait là une grande sagesse : éviter qu'une classe sociale ne s'approprie le surplus, et donc le pouvoir, au détriment de la communauté tout entière. Il se peut donc que des groupes humains aient volontairement choisi, dans l'histoire, de tout faire pour maintenir stables les rapports de production et la production matérielle pour éviter les dangers du pouvoir et de la dictature. Dans un tel cadre, les nouvelles populations, du fait de la croissance démographique, devaient essaimer sur d'autres rivages, ou bien les techniques de production devaient évoluer de façon à ce que la production matérielle couvre les nouveaux besoins, mais pas plus. Marx explique à tort que dans ces sociétés (par exemple les sociétés asiatiques), il y a stagnation de la production matérielle (des forces productives, dit-il) pour des raisons indépendantes de leur volonté, ce qui est inexact.

    De la même manière, dans les sociétés dites pré-capitalistes, la volonté de toutes les classes sociales, unies en la circonstance autour du pouvoir central, de se soustraire aux lois de la concurrence, dans tous les continents, en interdisant celle-ci et en la qualifiant d'immorale, relevait d'une conscience aiguë préalable des dangers qui guettaient l'humanité. Marx n'explique pas pourquoi le régime politique et juridique de ces sociétés a imposé que la bourgeoisie soit systématiquement pourchassée contrairement au mouvement de l'histoire dont lui, Marx, était porteur… C'est la colonisation du monde par les sociétés marchandes occidentales, puis l'arrivée du capitalisme, comme société marchande « la plus avancée », qui viendra à bout de ces sociétés, alors que leur agriculture et leur artisanat faisaient parfois l'admiration des occidentaux, en Inde par exemple. Pour Marx, c'est la rébellion des forces productives (entre autres, la bourgeoisie ayant accumulé du capital) qui exigeait le passage à la concurrence, donc l'arrivée de la bourgeoisie au pouvoir, cette rébellion agissant pour le compte des progrès nécessaires de l'histoire….

     

    On peut donc opposer à Marx une conscience pré-existante à l'existence, de la part de la paysannerie et du peuple, qui refusait précisément ce que Marx appelait des rapports de production supérieurs (la concurrence, le développement très important de la richesse matérielle..). Marx ne retient comme élément d'une conscience pré-existante que celle qui permet le développement de la richesse marchande : la classe révolutionnaire ouvrière...

    Revenons maintenant sur la question du primat de l'économie sur l'existence.

    L'importance des forces productives dans l'esprit de Marx découle de sa conception du matérialisme.

     

    b)Rapports de production, forces productives .

    ( Notons que le primat de l'économie sur la société est devenu, après la prise du pouvoir par les bolchéviks, le primat du Bureau Politique du Parti bolchevique sur l'économie qui a autorisé le pillage des richesses de l'URSS)

     

    Selon Marx, c'est le degré du développement des forces productives matérielles qui permet d'en finir avec les anciens rapports de production et en définit de nouveaux, c'est à dire une structure économique nouvelle de la société, et des rapports de propriété nouveaux. En découlent la structure juridique et politique, le système des idées, c'est-à-dire des formes déterminées de la conscience sociale (Marx, Critique de l'Economie politique , 1858, op. cité). Dans ce cadre « les hommes nouent des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté…. ».

    Ce sont donc les forces productives qui déterminent les rapports de production puis les combattent mais jamais l'inverse, dans le raisonnement qui précède. La raison en est très simple. Les classes sociales qui ont vocation à être révolutionnaires, la bourgeoisie puis le prolétariat, sont des forces productives qui, par leur activité, bousculent les rapports de production. Dans la révolution sociale, le prolétariat imposera la propriété publique (dite collective) des moyens de production, dans un Etat prolétarien. Cette propriété permettra une croissance décuplée des forces productives (ici les marchandises, le capital, les techniques…). Remarquons encore une fois que Marx peut dire ce qu'il veut avec la définition qu'il a retenue des forces productives.

    En définitive, le combat forces productives/rapports de production est donc plus large que le strict combat entre les classes fondamentales, c'est à dire la lutte de classes, bien que les forces productives contiennent ce combat. La « classe révolutionnaire » ne lutte pas seulement pour son émancipation mais pour une richesse marchande plus grande au service de la société. Ce n'est plus du tout une idée émancipatrice de la fin du 20 ème siècle et du début du 21 ème siècle où la protestation contre la marchandisation à outrance de tout l'espace de vie devient très importante. Mais il importait à Marx que les nouvelles forces productives s'émancipent des rapports de production devenus trop étroits. Par exemple, il se félicitait de la loi le Chapelier de 1791 qui en finissait avec les corporations et ouvrait la voie à l'entreprise capitaliste…. On peut à l'inverse trouver la chose dramatique sur le plan historique.

    Or l'ambiguïté de la définition des forces productives, qui permet, selon les nécessités du discours, d'y faire entrer plus que la production marchande et le capital mais la classe sociale, dont Marx prétend qu'elle a un rôle révolutionnaire dans l'histoire, cette ambiguïté conduit de fait à la collaboration de classes. Cela n'a jamais été dit et pourtant cela nous apparaît clairement et pourrait expliquer l'attitude des directions des partis et syndicats de gauche et d'extrême gauche En effet, dans les forces productives, on trouve à la fois le prolétariat et le capital, qui doivent s'émanciper des rapports de production capitalistes. Sitôt cette émancipation faite, c'est à dire le pouvoir acquis par les représentants du prolétariat, ce dernier se saisira naturellement du capital pour son propre compte….L'histoire de l'URSS est là pour nous éclairer sur cette union.

    Le matérialisme est de plus anti-religieux par définition. Marx a, dans ce cadre, indiqué sans nuances que la religion et la métaphysique appartenaient à des sociétés incapables, sur le plan technique et scientifique, d'expliquer l'origine du monde ou de soulager la misère, du fait du retard de la science et du pouvoir des classes possédantes. Marx croyait que l'instruction, l'abondance marchande, les nouvelles techniques, du fait des avancées de la science, dans une société dite avancée, éradiqueraient les religions et les philosophies. Outre qu'il y a là une mission donnée à la science qui n'a pas lieu d'être, il y a aussi une vision dictatoriale de l'évolution humaine « nécessaire ».Aujourd'hui la recherche du religieux, du mysticisme, l'importance de la métaphysique, peuvent relever d'une attitude de contestation vis à vis de la toute-puissance attribuée aux technologies et à la science, qui ont servi principalement la richesse des dominants dans des sociétés marchandes où la nature et la morale n'ont plus aucune place. Donc le parallélisme strict et mécaniste que Marx imaginait entre des systèmes d'idées et un niveau de « forces productives » relevait de la science-fiction et contenait en germes une dictature anti-religieuse, et une dictature tout court.

    Cependant, à l'époque de Marx, il faut reconnaître qu'il était nécessaire d'émanciper les masses contre la soumission religieuse pour les organiser en vue de la défense de leurs droits. La royauté avait utilisé la religion chrétienne comme instrument de soumission du peuple, exactement comme le font encore les dictatures du Moyen Orient avec l'islam. La pesanteur de l'enseignement traditionnel religieux était encore immense. Cet enseignement se perpétuera dans les colonies par l'intermédiaire des missions. Aujourd'hui la soumission passe par d'autres canaux : par la société marchande elle-même et les illusions qu'elle répand sur le bonheur immédiat par l'argent, par l'attrait des marchandises, nouvelle religion.

    2)Le fondement de l'évolutionnisme déterministe et la « progressivité » de l'Histoire.

    Les termes « progressivité », « progressif », font référence explicitement au progrès dans son acception la plus générale. L'histoire est progressive selon Marx. C'est une idée de la philosophie occidentale et du 19 ème siècle, nécessaire au capitalisme. La philosophie asiatique est aux antipodes. La progressivité de l'histoire n'a donc pas d'universalité. Elle a été mise à mal en France par l'anthropologue Levy Strauss dans la deuxième moitié du 20 ème siècle.

    Avec le capitalisme, la société humaine atteignait, selon Marx, le plus haut niveau de civilisation, avant le communisme, même s'il fallait en passer par une terrible exploitation. Si le prolétariat parvenait à s'approprier le système industriel pour lui-même, l'exploitation disparaîtrait d'elle-même, et l'ensemble des forces productives humaines, libérées, fonctionneraient au service des besoins humains. Tel est le sens que nous donnons au célèbre passage de Marx intitulé « Machinisme, science et loisir créateur » (Principes d'une Critique , 1857-58, La Pléiade,II, p 304 à 311). Dans ce texte, que la bourgeoisie se plaît à citer, Marx se laisse aller à son admiration extraordinaire pour les sciences et techniques du capitalisme, dont la neutralité est ici certaine, selon lui, puisque les mêmes sciences et techniques, passant du service du capital au service du prolétariat, libéreraient l'homme. Les sciences sont saintes pour Marx, selon Rubel, le commentateur des œuvres.

    Pour Marx, si le capitalisme doit précéder le communisme, c'est afin que ce dernier profite pleinement des acquis positifs donnés par le capitalisme. Il justifie donc la succession obligée des modes de production dans un certain ordre pour répondre à l'objectif de la progressivité de l'histoire. Marx introduira une exception à cela dans une lettre à Vera Zassoulitch où il admet qu'il soit possible de passer de la propriété collective paysanne de Russie directement au communisme, mais à condition de pouvoir bénéficier immédiatement de toutes les techniques du capitalisme (les acquis positifs du capitalisme), venant des autres pays, dans cette éventualité. Ce faisant, il ignore complètement les cultures, les modes de vie, et ce que les populations veulent ou ne veulent pas. Mais, selon Marx, l'histoire aura raison contre les peuples, fera violence aux traditions et passera outre. C'est le grand thème du « Manifeste communiste » où Marx décrit avec un véritable plaisir tout ce que le capitalisme conquérant a jeté par dessus bord à une vitesse extraordinaire.

    De ce fait, il y a une hiérarchie obligée entre tous les modes de production: « Réduits à leurs grandes lignes, les modes de production asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne apparaissent comme des époques progressives de la formation économique de la société » (souligné par nous) ( Critique de l'économie politique , op. cit. p 273-74). C'est pourquoi Marx peut parler de rapport de production supérieur : « Jamais une société n'expire avant que soient développées toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir ; jamais des rapports supérieurs de production ne se mettent en place, avant que les conditions matérielles de leur existence ne soient écloses dans le sein même de la vieille société » ( op. cit. p 273). Il y a donc des modes de production supérieurs, des rapports de production supérieurs, dont la mesure est représentée par les forces productives qui suivent elles-mêmes une évolution progressive, dont il n'est jamais dit selon quels critères on peut les apprécier, si ce n'est du point de vue quantitatif. Par déduction, il y a ce qui appartient à la vieille société en termes de rapports de production désuets, classes sociales archaïques, techniques dépassées, productions insuffisantes, idées obscurantistes ( !), traditions vermoulues, et il y a ce qui appartient à la société moderne et à la civilisation !

    Marx désignera deux pays qui incarnent ce que Rubel appellera une « évolution historique normale  » (souligné par nous), la Grande Bretagne et la France (Introduction au Livre II de la Pléiade par Rubel, p LI). En effet ces deux pays vont servir d'exemple à Marx pour décrire le passage de la féodalité au capitalisme par l'intermédiaire d'une révolution bourgeoise, et la constitution d'un prolétariat important, dont il imagine qu'il renversera à son tour la bourgeoisie pour passer au communisme. Il fait de cette évolution la règle, la norme historique, dont ses descendants se serviront pour préconiser, dans le cas d'un « retard » économique (comme en Russie ou dans les pays décolonisés), une « révolution bourgeoise sous l'égide du prolétariat ». Ce sera le travail de Lénine dans les fameuses « lettres de loin » en 1917 (ou thèses d'avril). Le prolétariat accomplira alors cette tâche sous la direction du « parti d'avant-garde ».

     

    Marx, commentant l'histoire de l'Allemagne, constatera que celle-ci a subi un « retard historique » pour diverses raisons et chargera le prolétariat allemand d'une révolution philosophique avant de pouvoir répondre au rôle historique qui lui revient (ici la conscience précède l'existence et Marx ne le note pas !).

     

    Cette analyse exclut qu'une société soit dite égale à une autre, donc différente et avec ses caractéristiques propres, et non pas inférieure ou supérieure. En effet la notion de « retard » découle de la norme ainsi posée. Toute l'économie politique capitaliste dite du « développement » va dériver de cette analyse. On comprend que le critère central de ce classement soit celui des techniques. Si le prolétariat au pouvoir fait croître les forces productives, comme l'aurait fait la bourgeoisie, il fera coïncider l'histoire du pays avec la norme et aura rattrapé le retard. Ce critère des techniques est tentant si le problème fondamental de la vie d'une société est la quantité globale de production quelle qu'elle soit. La question de sa répartition sera un problème politique relativement simple, selon Marx, dans un pays où le prolétariat aura le pouvoir. Elle ne sera jamais résolue dans la société bourgeoise où la croissance de la production globale n'est jamais suivie d'une quantité parallèle croissante de production pour chaque individu ou chaque groupe social, bien au contraire. C'est selon idéologie que les dirigeants, se réclamant du prolétariat, ne demanderont jamais l'avis des peuples, et que le saccage des sociétés dites précapitalistes (devant nécessairement passer au capitalisme) sera organisée dans la dictature non seulement par les partis communistes, ayant pris le pouvoir après les décolonisations, mais également bien sûr par les pouvoirs bourgeois se réclamant du capitalisme. En effet les « lois de l'histoire » seront imposées par la force contre les grandes masses populaires qui n'accepteront ni la dictature d'un parti, ni que leurs terres leur soient confisquées, ni la disparition de la paysannerie et de l'artisanat, ni la mise en cause de leurs traditions et de leur éthique. .

    Marx ne fait jamais entrer, dans son propos, que ce qui importe dans une société juste, c'est avant tout une quantité utile de production pour chaque individu, sans que les techniques de production soient obligatoirement celles des pays capitalistes. Les premiers évolutionnistes déterministes du 19 ème siècle et Marx, considèrent que la grande industrie constitue la fleur de la civilisation, même si, exactement dans le même temps, Marx nous donne une vision impitoyable des effets de la grande industrie sur les ouvriers, les femmes et les enfants, dans « le Capital ».

    Cette vision dite progressive de l'histoire vient pour partie de la philosophie des Lumières, mais entre autres de Condorcet, Saint Simon, Comte. Ce dernier pense que l'humanité évolue dans une certaine direction et que le devoir des philosophes est de l'aider à aller dans la bonne voie. Il écrit:" Les lois fondamentales de l'évolution humaine, qui posent la base philosophique du régime final, conviennent nécessairement à tous les climats et à toutes les races, sauf de simples inégalités de vitesse" (Comte. A, Discours Préliminaire, t1, p 390, cité par Tzvetan Todorov, Nous et les autres, p 52, 1989 Seuil). On remarquera l'arrogance despotique du monde occidental dans cette phrase. Marx a totalement hérité de cette philosophie. Dans ce sens Condorcet pensait qu'il fallait soumettre la politique à l'histoire. Celle-ci fut reprise également par Spencer au 19 ème siècle sous une forme différente et donnera « les lois scientifiques de l'évolution » justifiant le libéralisme des hommes d'affaires du capitalisme (Spencer, Les premiers principes , 1877; Les bases de la morale évolutionniste , 1905) et par l'idéologie actuelle de la « société moderne » contre laquelle il est réactionnaire de lutter, car ce serait revenir en arrière…. On notera le caractère déterministe de cette philosophie. Naturellement celle-ci, sous ses différentes formes, prétend s'appuyer sur la science.

    Il est bon ici d'opposer à cette philosophie une autre, qui reste très méconnue et pour cause, celle de Jean Jacques Rousseau. Selon lui l'éthique se définit de manière autonome, en dehors de la science, et même elle refusera de se soumettre à elle (Emile V, p 836-837). Todorov se livre à une très intéressante étude des écrits de Rousseau (opus cité p 44 à 47) à laquelle il convient de se référer. La liberté humaine permet à l'homme, selon Rousseau, de gérer son destin, contrairement à l'animal qui est soumis à la nature (Discours sur l'origine de l'inégalité, I, p 141). Ce qui est commun aux hommes, dit -il, c'est sa capacité à se transformer, sa qualité d'agent libre. Il réfute le déterminisme de Diderot et déjà l'idée "des lois de l'histoire". Cet autre versant de la philosophie des Lumières est généralment mis à l'écart.

    De la même façon qu'il l'a fait pour les modes de production, Marx décrira des types de propriété, correspondant à un état des forces productives. Il les décrira comme s'il avait sous les yeux une loi historique ( L'Idéologie Allemande , 1845, la Théorie matérialiste, p 1086 sq. La Pléiade, Tome III). La propriété tribale est ainsi selon lui la plus ancienne forme de propriété, correspondant au niveau de production le plus bas ; c'est la forme la plus archaïque. Contre Marx, nous pouvons rappeler que l'Algérie de l'époque de la révolution française, fournissait à celle-ci du blé, parce qu'elle en manquait, et était organisée sous le régime de la propriété tribale, c'est à dire propriété collective de la terre d'un grand nombre de familles réunies ensemble. C'était la forme la plus élaborée de solidarité entre les hommes et les producteurs, laquelle empêchait pratiquement la misère et la mendicité, même si les chefs étaient parfois de vrais tyrans. Marx ne voyait naturellement pas émerger de cette structure ni la bourgeoisie ni le prolétariat, par conséquent elle ne l'intéressait pas, et elle n'était pas susceptible d'être réformée…., il convenait de l'anéantir. La France a anéanti la propriété tribale en Algérie vers 1880 ouvrant ainsi l'ère de la propriété coloniale, et la misère dans les campagnes. C'est exactement ce que les soviétiques, puis les américains tenteront de faire en Afghanistan entre autres.

    Conclusion  : Le scientisme et le positivisme chez Marx .

    La vision générale de Marx, exposée et critiquée ci-dessus, s'apparente et participe au positivisme (Auguste Comte) du 19 ème et 20 ème siècle, qui a profondément marqué et marque encore les sciences sociales et les dites sciences économiques dans les pays occidentaux. C'est un des traits spécifiques des idées dominantes. Le positivisme n'affirme pas seulement la nécessité de la vérification empirique, ce avec quoi nous sommes d'accord, mais c'est avant tout une philosophie qui croit en des lois intangibles qui déterminent les phénomènes. La société serait soumise à ces lois. Ceci, appliqué à ce qu'on nomme les sciences sociales n'a pratiquement aucun sens, car les comportements humains, qui entrent nécessairement en ligne de compte, ne sont pas susceptibles d'obéir à des lois. Si cela était le cas, il y a belle lurette que nos sots politiciens nous auraient soumis à leur vue et pourraient prévoir les réactions des humains. Les "révolutionnaires" ont précisément cru pouvoir y arriver !

    Le positivisme, dans cette conception philosophique, appuie et justifie le déterminisme historique. Il permet l'apologie de lois de l'histoire et de la toute puissance "progressive" de la technique et de la science. C'est de Saint-Simon que date la transformation la science en véritable religion. Il s'agit donc d'une philosophie typiquement occidentale, qui au nom de la contestation de la toute puissance de la nature, oppose la toute puissance de la science. Ceci n'est pas compris par les autres civilisations. Cette philosophie qui est en réalité une idéologie, n'a, encore une fois, aucune vocation à l'universalité. Elle sous-tend l'idée de la supériorité occidentale, dont Marx était convaincu. La vérité ne se trouve dans aucun type de soumission.

    Comme conséquence, Marx est, comme presque tous les philosophes et scientifiques du 19 ème siècle, scientiste, en cela qu'il fait totalement confiance aux capacités infinies de la science à régler tous les problèmes. La meilleure illustration de ce scientisme est la « nécessaire croissance des forces productives » comme fondement du développement de la civilisation. Le capitalisme sera le plus haut degré connu de la civilisation, ce qui permet de donner à la bourgeoisie un rôle progressif et révolutionnaire dans l'histoire, dans la mesure où son activité a permis d'en finir avec le mode de production précédent, le féodalisme. Puis cette bourgeoisie deviendra réactionnaire face à l'émergence d'une autre classe, le prolétariat, à qui il reviendra de permettre une nouvelle expansion des forces productives. C'est ainsi que la question des valeurs d'usage, pourtant fondamentale, a été totalement écartée.

    On peut discuter cette construction théorique de la réalité et la refuser à juste titre. La dialectique voudrait plutôt que tout système de production soit, non pas alternativement, mais en même temps, révolutionnaire et réactionnaire. Tout comme l'être humain est en même temps capable du pire et du meilleur. Mais la pensée de Marx est marquée par la nécessité de ce caractère alternatif, sinon le « progressisme » de l'histoire n'aurait pas lieu d'être. En effet le « sens de l'histoire » doit inéluctablement produire des sociétés en « progrès », après que les sociétés dites archaïques aient été détruites, le « progrès » général étant assuré par les techniques mises au point par la science, et libérées par une classe sociale. C'est à notre avis, à ce niveau, que la pensée de Marx échoue à présenter un projet humain universel d'émancipation, car elle ne parvient pas à se libérer du scientisme rationaliste propre également aux libéraux, et à toute la social-démocratie du 19 ème et du 20 ème siècle. Ou encore qui échoue à se libérer de l'objectif unique d'une industrialisation a priori bienfaitrice, dans le cadre d'une évolution historique unilinéaire . Marx ne peut pas imaginer une société dont le but serait de produire, pour tout un chacun, ce qui est juste nécessaire, avec des moyens scientifiques choisis et discutés en donnant du temps au temps par les citoyens, tandis que l'effort social porterait avant tout sur la culture, la santé et les arts (un peu la pensée de Stuart Mill à la fin du 19 ème siècle).

    C'est également du fait de cette nécessité que Marx s'interdit de trouver dans chaque société des éléments émancipateurs à développer, tandis que d'autres seraient à rejeter, car il lui est impossible d'imaginer évidemment que toutes les sociétés soient respectables dans leur diversité. Il présente le « progrès » comme étant global, alors qu'il est évident que cette vision des choses est inexacte. Il faut se référer encore une fois à Levy Strauss sur cette question.

    Cette façon particulière à Marx de comprendre la dialectique va permettre de justifier les fondements du capitalisme. Le socialisme ne sera alors que l'industrialisation au service du prolétariat. De plus, par définition, et selon Marx lui-même, l'industrialisation ne peut fonctionner en toute justice, qu'au service d'une seule classe, au détriment de toutes les autres. Ce ne pourra être que dans la coercition, la « dictature du prolétariat ». On a vu comment Marx a tenté de substituer à l'abolition du salariat, la question du pouvoir ouvrier sur la société industrielle.

    Cette vision du monde entraîne une idée et une pratique de la démocratie extrêmement réduite.

    2008

     

    -L'IMPOSSIBILITE DE LA TROISIEME VOIE PAR LES BOCHEVIKS, ou de la diversité des voies.

     

    Cette question remonte au 19ème siècle au moment de l'élaboration de la théorie dite de " l'évolutionnisme " à qui on a omis, par défaut d'analyse, le qualificatif " déterministe ".
    Cette théorie relève bien du déterminisme et les marxistes comme les libéraux en ont fait leurs choux gras. Les premiers ont expliqué l'inéluctabilité de l'arrivée du communisme, en décrivant la succession des modes de production (occidentaux), comme étant une succession obligée. Or on ne saurait dire que ce qui s'est passé relève d'une règle historique.
    Les seconds en faisant du capitalisme la fin des fins et le plus haut degré de la civilisation (ce avec quoi Marx n'était pas totalement en désaccord ..).
    La mise en question de cette vision évolutionniste obligée de l'histoire est venue, entre autres, d'un anthropologue américain BOAS, vers la fin du 19ème, lequel a énoncé que la règle était la multiplicité des voies d'évolution (d'où l'expression employée par certains, mais peu retenue, d'évolutionnisme multilinéaire).
    La théorie du déterminisme historique est revenue en force au Congrès de Tours en 1921 quand les socialistes ont scissionné des communistes, à l'intérieur de ce qui était alors en Europe le parti social-démocrate, en refusant les conditions d'adhésion à la 3ème internationale communiste des bolchéviks. Ces derniers ont alors lancé le postulat selon lequel ceux qui n'étaient pas bolchéviks, dans cette époque historique, étaient obligatoirement du côté de la bourgeoisie. Et ils ont dénoncé avec violence la possibilité d'une troisième voie, ni communiste ni capitaliste. Ils ont proclamé qu'elle n'existait pas.
    L'existence de l'URSS semblait appuyer ce postulat, et le drame a voulu que celui-là pénètre de la pire des façons dans la tête des opposants aux bolchéviks. En se tournant du côté de la démocratie représentative bourgeoise, et en oubliant les autres possibilités d'existence de la démocratie, les socialistes ont obtempéré face à l'avis des bolcheviks russes, et ont donné vie à l'adage " Qui n'est pas avec moi est contre moi ", adage qui fut si cher à Bush.
    Face à cela, la bourgeoisie ne pouvait que se frotter les mains. La voie capitaliste était évidemment pour elle la seule voie démocratique, la seule voie du développement économique.
    Ces deux théories déterministes se sont côtoyées, et se sont finalement bien entendu. A tel point qu'à l'échec de l'URSS, un célèbre " historien " a parlé de la " fin de l'histoire ", sous-entendu le " capitalisme est la fin de l'histoire ". Et les marxistes n'ont opposé aucune autre perspective, ni quant à une autre évolution économique, ni quant à une autre démocratie. Fascinés par la grande industrie et la consommation de masse, ils ont maintenu le cap vers le…communisme.

    La voie ouverte par l'existence éphémère en Russie d'une démocratie des conseils en 1905, en février 1917, ou lors des rébellions contre l'URSS en Hongrie en 1956 par ex, n'a pas été mise en avant. Oubliée !! Ou toute autre démocratie directe pratiquée par de multiples peuples

    Ces deux conceptions déterministes absurdes, uniquement occidentales, méprisantes d'autres évolutions possibles, décriées par les faits l'une et l'autre, campent cependant sur leurs positions, et finalement accréditent la démocratie parlementaire comme la seule possible.

    Bien que sérieusement critiquée par une minorité de philosophes, anthropologues, historiens, et plus rarement d'économistes, la théorie de l'évolutionnisme déterministe se retrouve aujourd'hui dans le discours qui excuse par avance les politiques dévastatrices de la mondialisation, de la dite dette publique à rembourser, des politiques de rigueur toujours plus arrogantes, au nom du fait " qu'on ne peut revenir en arrière ", qu'il " faut bien tenir compte des nécessités de la mondialisation " etc etc.
    C'est comme si l'excommunication prononcée par les bolchéviks en 1921 était toujours à l'œuvre : si vous n'êtes pas communiste, vous êtes condamnez à être capitaliste jusqu'à ce que mort s'en suive … Eh bien oui, on en crèvera. Sauf que s'il y a un sens de l'histoire, ces deux voies sont condamnées.

    Juin 2012

     

    Dictature du proletariat et Evolutionisme déterministe....

     

    La dictature du prolétariat, selon Marx, est la phase transitoire qui permet d'accéder ensuite au communisme, lorsque toutes les classes de l'ancien mode de production auront disparu, ou se seront soumises au prolétariat (ont fondu dans le prolétariat).

    Il faut donc que le prolétariat soumette les anciennes classes à sa volonté, fasse disparaître la propriété privée des moyens de production, et s'assujettisse tous les rouages de la société. Car le prolétariat, toujours selon Marx, est la seule classe révolutionnaire jusqu'au bout. Il est le seul à pouvoir susciter une nouvelle société sans exploitation de l'homme par l'homme. Il a donc un rôle messianique, maintes fois indiqué par de nombreux auteurs.

    Nous n'allons pas revenir ici sur les arguments qui ont été donnés par les anarchistes contre cette perpective de dictature du prolétariat, ou par d'autres courants situés à gauche. Rappelons seulement que Bakounine, au 19ème siècle, la rejetait le premier en disant qu'il n'y voyait que la future dictature d'un parti marxiste sur le peuple, et non pas celle du prolétariat. En outre il était pour la démocratie directe du peuple, et non pour une quelconque dictature. De même à la fin du 19ème siècle, le polonais Jan Waclaw Makhaïski, écrivait en 1898 "Le socialisme des intellectuels", en attribuant aux intellectuels la capacité à engendrer cette dictature au nom du prolétariat. Et il faisait du marxisme une théorie du pouvoir des intellectuels sur le peuple. De ce fait il contestait l'intégralité du marxisme, ce que nous ne faisons pas. (J W Makhaïski. Le socialisme des intellectuels. traduit pas Alexandre Skirda. Edit de Paris; 2001)

     

    Ce qui nous intéresse ici, en premier lieu, est de comprendre pourquoi Marx en est venu à formuler une telle idée, et dans quel cadre de philosophie générale il la plaçait.

     

    Progressivité de l'histoire

    Pour Marx l'histoire est progressive, c'est à dire qu'elle suit un mouvement qui va vers le progrès (voir la rubrique "déterminisme historique"): les modes de production se succèdent pour pouvoir créer toujours plus de richesses, et une classe sociale y joue le rôle de classe révolutionnaire, jusqu'à ce que celle-ci devienne réactionnaire (c'est à dire ne regarde pas l'avenir prometteur de la société mais le passé), soit balayée ou effacée.. et ainsi de suite. Cette vison, qui apparaît aujourd'hui totalement schématique et dont le déterminisme est récusé, propulse le prolétariat au rang de la classe révolutionnaire dans l'esprit de Marx, tandis que la bourgeoisie, jadis révolutionnaire, doit disparaître.

    Dans cette perspective le prolétariat doit devenir toujours plus important et "manger" les autres classes sociales: la paysannerie, les artisans et commerçants, une partie de la classe bourgeoise elle-même. Dans cet affrontement, la société subit dans la violence une transformation révolutionnaire. Marx semble exclure dans ce mouvement que la société puisse sombrer dans un cataclysme social et technologique. Il semble convaincu que la marche générale de l'histoire est positive même si la bourgeoisie a des réponses aux crises qui touchent à la barbarie. Tout simplement parce que le prolétariat n'a rien à perdre et qu'il sera nécessairement révolutionnaire jusqu'au bout à la différence de toutes les autres classes.

    Ici il y a un problème de définition qu'il faut éclairer. Par prolétariat Marx entendait la classe exploitée dans les usines, donc essentiellement les ouvriers d'industrie. Mais Marx a donné une définition suffisamment précise de l'exploitation (fabrication de plus value au service d'un patron) pour qu'il soit évident que peuvent être exploités aussi des salariés de services privés, des salariés agricoles, aujourd'hui de petits exploitants agricoles liés à l'agro-business, des artisans et petites entreprises soustraitantes, et en général tout le travail salarié à domicile ...etc..

    Entre le travail directement et indirectement productif, le salariat exploité n'a cessé de croître, mais ce n'est pas le prolétariat traditionnel de l'industrie qui, lui, décroît.

     

    Prolétariat et salariat.

    Mais peut-on parler du salariat à la place du prolétariat ? En principe oui, mais les statistiques bourgeoises ont fait entrer dans le salariat des couches sociales opposées, tels les grands cadres supérieurs de l'Etat, ou les cadres supérieurs de l'enseignement (l'enseignement supérieur) qui sont liés fondamentalement à la société bourgeoise même s'ils peuvent se rebeller et se mettre du côté des exploités. Les statistiques y ont fait entrer également des salariés qui ne produisent pas de plus value, tels les salariés des services publics qui ont gagné au cours du temps parfois des acquis considérables et....opposés.

    De plus même au sein du salariat exploité, la bourgeoisie a su habilement diviser ses différentes couches, à tel point qu'elles n'ont plus rien à voir entre elles. L'ouvrier qualifié n'a rien à voir avec le salarié précaire qui court de petits boulots en petits boulots. L'ouvrier n'a rien à voir avec l'enseignant salarié du secondaire ou de l'enseignement supérieur. Le salariat n'est pas homogène. Les plus hauts salariés, même exploités (les ingénieurs), peuvent gagner jusqu'à 40 fois plus que les plus misérables.

    Donc le salariat n'est plus ce qu'il était, il n'est pas homogène loi de là; une partie a été conquise non seulement au mode de vie bourgeois mais aux idées capitalistes. Ceci grâce au pillage systématique des pays colonisés puis dits du "tiers monde".

    Le prolétariat, au sein du salariat, n'est plus en soi une classe révolutionnaire jusqu'au bout, sauf si aujourd'hui, en 2009) il est très largement mis à la rue...Jusqu'à présent il essayait d'abord de protéger ses acquis de corporation en ignorant les autres corporations. Mais c'est une stratégie syndicale. De plus le prolétariat , non seulement n'est plus internationaliste, mais il est nationaliste, et très souvent xénophobe.

    La disparition de tout internationalisme est curieusement le fait du mouvement communiste lui-même, qui d'une part n'a donné aux peuples colonisés que la perspective de l'industrialisation de masse et du parti unique, et d'autre part a tout simplement aboli les institutions de l'internationalisme après la seconde guerre mondaile: la troisième Internationale communiste. La proclamation de la Quatrième internationale n'a jamais pu exister réellement et n'a guère offert des perspectives nouvelles....

     

    Un présupposé catastrophique: les autres classes anticapitalistes auraient été (selon Marx) réactionnaires par nature, car liées au féodalisme

    Nous reportons ici le lecteur à la rubrique sur la "démocratie" , les paragraphes 2 et 3.

    Le présupposé selon lequel le prolétariat est le seul à être anticapitaliste dans la vraie bonne direction, celle du communisme, tandis que les autres classes peuvent être anticapitalistes mais seulement en fonction de leur intérêt propre, lequel regarde en arrière de l'histoire et non pas en avant (!).... ce présupposé conduit naturellement Marx à l'idée que le prolétariat doit imposer sa dictature pour détruire l'ancienne société de fond en comble sauf l'apport positif de l'industrie, dont il va se saisir nécessairement.

    L'anticapitalisme de ces classes que Marx rejette, est un anticapitalisme qui met le "grand capital" au pilori, ainsi que la libre concurrence. C'est un anticapitalisme qui règle son compte aux "forces productives" de Marx, qui ne sont rien d'autre qu'essentiellement le capital typique du capitalisme, qui a asservi la science et les techniques à son char. Cet anticapitalisme est réputé réactionnaire ! On pourrait gloser longtemps sur cette affirmation qui contient en germe l'horreur de ce que fut à maints égards la Russie soviétique.

     

    La destruction de l'Etat bourgeois

    Cette dictature va de paire avec la théorie de la destruction de l'Etat bourgeois, c'est à dire la liquidation de toutes les institutions de l'Etat: administration, police, armée, justice, parlement... destruction qui est concrètement irréalisable. Tous les dits Etats ouvriers qui ont existé ont réembauché les salariés et cadres de ces institutions, pas seulement par conformisme politique, mais parce qu'il est impossible de faire autrement. C'est à ce niveau que se pose réellement la vraie question du réformisme, et non pas au niveau économique où il y a nécessité d'être plus radical. Quels cadres garder ? Sous le contrôle de qui ? Comment procéder ? Les citoyens honnêtes qui seraient élus à de hautes fonctions ont ils les qualités professionnelles requises ?

    Une telle destruction est non seulement illusoire, mais aboutit à préconiser la terreur contre la population. S'il convient de mettre des institutions sous contrôle du peuple, de supprimer le Sénat, le Conseil d'Etat, de diviser par 10 au moins les salaires des grands fonctionnaires, d'élir ces grands fonctionnaires et non de les nommer, de briser les appareils répressifs (et encore, il faut voir lesquels et comment...), on ne peut nier toute possibilité de réforme des institutions d'Etat, ce qui ne peut être que lent et progressif, et de toutes façons on ne pourra faire autrement. Il faudra bien faire du nouveau avec de l'ancien.

    Il faut donc bien comprendre que la dictature du prolétariat se situe dans la seule perspective de progressivité de l'histoire vers le communisme, et dans la négation des soviets démocratiques fonctionnant sur le principe de la démocratie directe. La dictature du prolétariat n'est nécessaire qu'en vue d'assurer la prolétarisation de toutes les classes sociales. Il y a donc une logique totale entre cette dictature et la perspective du communisme. L'une n'est pas séparable de l'autre.

     

    Août 2009