LE PROTECTIONNISME DE L'ARGENTINE.
(Les Mondes du 25 juin 12, des 7 et 24-8-12)
Les prévaricateurs, voyous et rapaces mondiaux, regardent avec attention l'Argentine pour tenter de l'asphyxier si elle maintient son désir de protectionnisme, par la voie de son Etat dirigé par Cristina Kirchner. La grande faiblesse de ce gouvernement est de tenter une issue réformiste dans le cadre du capitalisme, sans faire appel à une solidarité internationale. Il y a 40 ans, cette issue était encore possible en nationalisant, par exemple, les grandes sources de richesses du pays, pour en faire une source de revenus à l'exportation, parce que les grands Etats capitalistes ne s'étaient pas encore mis en ordre de bataille, dans la "stratégie du choc", pour casser toute vélléité de ce type. L'Argentine peut-elle tenter à nouveau cette expérience avec la nationalisation de la compagnie pétrolière Repsol ? Nous sommes sceptiques. Aujourd'hui, dans une situation où l'Argentine dépend de son commerce extérieur dans une économie mondialisée pour assurer sa croissance, dans le soja principalement (et quel soja !! fruit de l'empoisonnement d'une partie de la population !) et la viande de boeuf essentiellement, il suffit qu'il y ait un embargo, et c'en est fait.
Sans appel du peuple argentin à la solidarité des peuples d'Amérique et de l'Europe, et sans discussion sur la nature de la production à faire prévaloir, sur la nature des richesses et des choix de vie à venir, nous ne voyons aucune issue à la situation actuelle. Sauf si tous les peuples d'Amérique latine résistent ensemble, et non pas simplement leurs Etats.
L'Argentine s'essaye, en tant qu'Etat, à l'alternative du protectionnisme dans le cadre d'une union avec d'autres pays d'amérique latine (le Mercosur, crée en mars 91).
11 ans après la terrible crise de 2001 en Argentine (où l'existence du Mercosur n'a pas changé la donne), où les banquiers s'étaient saisi, avec l'aval d'un Etat corrompu, des comptes des citoyens pour rembourser le FMI (dit le "Fond de la misère internationale" par les argentins), et après le décrochage justifié du peso vis à vis du dollar, les problèmes réapparaissent comme il est normal : la croissance ralentit, le chômage et l'inflation progressent. La classe riche de l'Argentine profite de la libre circulation des capitaux (qui caractérise la "mondialisation") pour placer son,argent hors du pays. Pour réagir à cela, C Kirchner a rétabli en avril 2012 un strict contrôle des changes. Un marché clandestin d'achat de dollars s'est alors constitué, et le miracle argentin proposé en exemple à la Grèce, ressemble à une peau de chagrin aujourd'hui. Pourquoi ?
En 2001, l'Argentine devait 75 Mds d'euros au FMI. Le peso était arrimé au dollar, ce qui ruinait le pays. Le défaut de paiement a entraîné un "vol" des comptes bancaires privés des citoyens de la part des banques . En compensation de ce "vol" des avoirs bancaires privés, vers la fin décembre 2001, les victimes s'étaient vu attribuer des titres remboursables à terme, les "corralitos", qui ont circulé comme monnaie, afin que l'Etat reprenne ses droits. Si les citoyens présentaient de suite ces titres au remboursement dans les banques, il y avait une forte décote, ceci pour que les retraits n'aient pas lieu. C'est ainsi que l'Etat a repris ses activités, sur la base de l'espoir du remboursement, après la grande épopée des "assemblées populaires".
Le gouvernement a décidé de rembourser une partie de cette dette privée. Ce remboursement (soit 1,78 mds d'euros !) s'est achevé en août 2012, mais en laissant des milliers de gens ruinés. L'Etat avait renié une grosse partie de sa dette au FMI, ce qui est bien. Mais on n'agit pas ainsi impunément avec le FMI. L'Argentine n'a toujours pas accès aux marchés des capitaux, parce qu'elle veut garder son indépendance financière, ce qui signifie une asphyxie financière. Donc elle a besoin d'exporter un maximum pour assurer son financement intérieur, si elle veut demeurer un pays capitaliste reconnu, et surtout "être compétitive". Il lui faut donc importer ce qu'elle ne produit pas... Et dans cette histoire, ce n'est pas le Mercosur qui va la tirer l'affaire. Nous voudrions bien que l'analyse en soit faite. Ce n'est pas non plus le Brésil (partie du Mercosur) qui va la tirer d'affaires, empêtré qu'il est dans des affaires de corruption, et ayant passé des compromis pourris; ce n'est pas non plus le Vénézuela, avec son "socialisme" dictatorial et corrompu; ce n'est pas la finance internationale.
Exporter pour avoir du financement, c'est là où le bât blesse ! Des pays comme les USA, le Japon, l'Europe dont l'Espagne (en rétorsion de la nationalisation de la compagnie pétrolière Repsol)... diminuent leurs importations. L'Argentine manque déjà de pièces de rechange par ex dans l'automobile.
Pascal Lamy (PS) en bon gestionnaire de l'OMC (comme DSK du PS qui fut directeur du FMI) fustige ce protectionnisme. L'Argentine ferait ostruction aux flux commerciaux ! C'est fou comme le PS défend bien les intérêts du capitalisme !! on ne le dira jamais assez.
Affaire à suivre ! Le "fond de la misère internationale" ne fera aucun cadeau à l'Argentine, et surtout pas l'Europe, devant laquelle le PS français s'apprête à se coucher.
3 septembre 2012
L'Argentine fait partie des pays dits émergents dont le marché
des actions et obligations a dû se mettre en conformité avec les
marchés financiers occidentaux, dans les années 90 (avant les
crises financières qui devaient logiquement suivre cette mise en conformité)
afin de laisser les capitaux étrangers entrer et sortir librement, et
afin de se voir octroyer des prêts du FMI, dans le cadre de l'endettement
obligé des pays dépendants. L'Argentine, dirigée à
l'époque par des ultra-libéraux, a dû, selon cette logique,
lier le peso au dollar, sans possibilité d'une politique monétaire
autonome, avec l'obligation de maintenir sa monnaie stable afin d'assurer l'entrée
et la sortie des capitaux étrangers, sans danger pour ces derniers.
Mais dès 98 l'Argentine, soumise au diktat du FMI à l'époque,
subit un retrait des capitaux étrangers organisé à la fois
par le FMI, les banques privés et ses dirigeants corrompus. Le peso perd
de sa valeur. L'Argentine est sommée de consacrer ses réserves
à soutenir le peso pour que les capitaux étrangers ne subissent
pas de pertes... Ce après quoi le dollar vaut 4 pesos...
En 2001, l'Argentine, subit une déroute financière qui fait passer
son endettement public de 63% à 135 % de son PIB en quelques mois. L'Etat
est condamné " à faire défaut ".
Sa dette avec des organismes privés est constituée de 152 types
d'obligations émises dans 14 devises réglées par 8 législations
nationales différentes. Les restructurations de cette dette, c'est-à-dire
les négociations pour en diminuer le montant, repousser à plus
tard le remboursement, vont durer des années. 93% des détenteurs
de cette dette acceptent une décote de près de 70% sur les titres,
la dette étant en l'état non- remboursable. Il est établi
que tous les détenteurs d'obligations doivent être traités
de la même manière, clauses " pari passu ". Des intérêts
à devoir sont négociés sur la partie n'ayant pas subi de
décote. C'est en fait le plus juteux. 7% des créanciers refusent
ces négociations. Qui sont-ils ? Ce sont des " fonds vautours "
qui ont racheté des créances sur l'Argentine à vil prix,
mais sans décote, attendant le moment d'en réclamer le remboursement
intégral. Qui sont-ils ? NML Capital dont Elliott Management est propriétaire,
Aurelius Capital Management, Paul Singer
.des sociétés américaines.
En 2011 ces fonds jugent le moment opportun et font valoir auprès de
l'Argentine la nécessité du remboursement intégral. Ils
tentent de s'accaparer, en guise de remboursement, des taxes fiscales versées
par Total à l'Etat, par Air France, BNP Paribas. L'Argentine refuse le
remboursement en faisant valoir la clause 'pari passu ", selon laquelle,
jusqu'en décembre 2014, les groupes privés avec qui elle a négocié,
peuvent revenir sur leurs engagements, si l'égalité entre tous
les créanciers n'est pas respectée.
Les fonds vautours assignent l'Argentine devant la justice US en octobre 2012,
laquelle leur donne raison. L'Argentine va en appel devant la cour d'appel de
New York. Cette dernière condamne l'Argentine à rembourser 1,5Mds
de dollars à 2 fonds. L'Argentine joue à fond la légalité.
C'est un précédent qui peut faire jurisprudence. C'est bien ce
qui était attendu par les USA et le FMI, pressés de porter un
coup sérieux à l'un des membres du Mercosur lequel entrave une
proposition de libre échange des USA avec toute l'Amérique latine.
Si l'Argentine s'inclinait, les 93% de détenteurs de créances
qui ont accepté des décotes pourraient revenir en arrière
et exiger le remboursement de la totalité des décotes. Soit 43
Mds de dollars que l'Argentine devrait emprunter sur les marchés financiers
dont elle s'est exclue, et elle serait contrainte à un taux d'intérêt
supérieur à 10%...
L'Argentine a remboursé les intérêts de sa dette jusqu'ici
grâce à l'augmentation du cours des matières premières
(soja principalement), grâce à ses réserves de change qui
vont s'épuiser (excédent commercial dû à l'agriculture,
soja sous OGM), grâce à ses taxes sur les exportations (35% du
montant des exportations, ce qui a mis le feu aux poudres du côté
des lobbys agricoles) . Mais la donne est en train de changer. Le PIB de l'Argentine
a chuté, les mesures protectionnistes ont chassé tous les investissements
étrangers, le peso se déprécie inexorablement. L'Argentine
avait remboursé au FMI les 9,6 Mds qu'elle lui devait en 2006, et comptait
tourner le dos à cette institution définitivement.
Entre temps elle avait nationalisé REPSOL YPF, entreprise espagnole,
mais pas les compagnies minières ; ainsi que Aerolinas Argentinos, mais
les transports ferroviaires sont délabrés depuis qu'ils ont été
privatisés dans les années 90 grâce aux péronistes
néolibéraux de l'époque.
L'Argentine a refusé le jugement de la cour d'Appel et a tenté
un recours à la cour suprême des USA qui devait rendre son jugement
le 22-7-2014.
En attendant l'Argentine s'est adressée à tous les pays occidentaux
pour les avertir de la situation dans laquelle elle se trouvait et des dangers
encourus pour le système financier international, par des pages de publicité
dans les grands journaux.
Les fonds vautours n'ont pas perdu de temps. Ils ont fait exiger par le juge
Griesa, juge de première instance, des USA de bloquer les fonds argentins,
pour le remboursement en cours des intérêts, dans la banque of
New York Mellon. Ce qui est totalement illégal. Mais cela correspond
exactement à l'esprit du " Traité transatlantique "
que les USA aimeraient négocier avec l'Europe en catimini. C'est-à-dire
le droit du plus fort d'écraser un ou des Etats souverains, et de les
asservir aux seuls intérêts US.
Cette description est intéressante. Elle montre comment un Etat de la
périphérie a tenté de se soustraire à l'endettement,
a tenté de gagner son indépendance économique et financière,
par un contrôle des changes, hélas trop léger, et le protectionnisme,
mais en comptant essentiellement sur des exportations agricoles productivistes,
largement décriées par la gauche écologiste européenne.
Il suffit aujourd'hui que les USA et l'Europe fassent le blocus de l'Argentine
pour l'asphyxier. Il suffit également que le FMI reconnaisse comme étant
légitime la décision du tribunal favorable aux fonds vautours,
pour que l'Argentine plonge. Or depuis 2008 les prix augmentent sous l'effet
de l'inflation et la fuite des capitaux.
On peut s'étonner que les dirigeants argentins ne fassent pas appel massivement
aux peuples d'Amérique latine pour bloquer le désir explicite
des USA de provoquer un chaos pire que celui de 2001 en Argentine, et s'en tiennent
à la pure légalité internationale, laquelle est purement
formelle. Les USA comme l'Europe n'ont que deux types de réponse face
à un pays dépendant qui résiste : 1) La guerre de destruction
et d'extermination, 2) L'endettement massif et la mise au pas des peuples par
la misère.
Les USA comme l'Europe ne sauraient tolérer, dans le cadre de la mondialisation,
ni de nouveaux concurrents (on l'a vu avec ce qu'il est advenu des NPI), ni
d'Etats qui tentent de se protéger. Ils attendent leur heure pour intervenir
partout où cela est possible, pour interdire ce qui les gêne. Seules
les dictatures impitoyables qui achètent des armes sont les bienvenues.
Les discours sur la démocratie ne sont que feux de paille.
Par contre on ne saurait blâmer des Etats qui tentent de se protéger
en mettant en cause la mondialisation, même si on estime qu'à terme
c'est illusoire dans le principe. Les peuples peuvent se saisir de cette situation
pour la refuser en s'unissant de façon victorieuse, vers des perspectives
dont on ignore évidemment l'issue.
AMC juillet 2014