(Voir rubrique "Keynes", ett "gauche")
Voir "le Fordisme" après cette introduction
INTRODUCTION : comment la gauche a été confisquée par
capitalisme.
Voilà un titre paradoxal pour introduire les trente glorieuses. Les marxistes de tous bords ont célébré les "trente glorieuses" (terme de Fourastié) sous le titre "Les grands acquis sociaux d'après-guerre", comme conséquence d'un rapport des forces sociales en faveur du prolétariat. Avec le temps et après l'étude plus approfondie de l'époque qui va de 1945 aux années 70, notre vision des choses s'est quelque peu modifiée.
Certes il s'agit bien d'acquis sociaux, en raison d'un rapport de forces particulier, mais également de la corruption de toute la gauche, communiste et non communiste. Par exemple la sécurité sociale a fait l'objet d'un donnant donnant "On vous donne la sécurité sociale mais vous maîtrisez les salariés. Ils doivent rendre les armes de la résistance, en finir avec les grèves révolutionnaires, se conformer à la démocratie parlementaire". Et toute la gauche s'est conformée à cette demande.
Nous analysions ces acquis sociaux essentiellement comme la conséquence de l'existence de l'URSS, qualifiée illusoirement d'Etat ouvrier par les organisations communistes. En réalité il s'agit plus de la conséquence du compromis ci-dessus, sur toile de fond de l'existence de l'URSS, ce qui est un peu différent; car les organisations dites de gauche savaient parfaitement bien ce qu'elles faisaient.
Ce faisant le capitalisme s'est approprié la gauche, avec la bénédiction, semble-t-il, de l'URSS. Il en a fait sa chose, sa béquille servile. Comment celle-ci a pu accepter cela ? Comment cela a été possible ? A notre avis à cause de l'admiration sans borne de toute la gauche pour la grande industrie, admiration accréditée par Marx lui-même, il faut bien le dire, et de l'URSS. Les deux disant fonder le communisme sur la grande industrie.
En se servant du marxisme sous sa forme la plus mécaniste, en le réduisant à cette seule forme, et en utilisant la fascination de Marx pour l'industrialisation, les bolchéviks ont ouvert la voie à la confiscation objective de la gauche par le capitalisme au 20ème siècle. Sans doute, et à notre avis, sans le comprendre. De plus tel n'était pas le désir de Marx.
En effet Marx avait pris soin dans un premier temps de distinguer "l'utilisation de la machine pour soulager la peine de l'homme", du "machinisme" (voir notre rubrique dans notre site "machinisme et science"). La première expression allait nécessairement de pair avec la démocratie directe, la seconde avec la démocratie parlementaire bourgeoise. Or Marx n'aimait pas la démocratie directe. Toute son action dans l'AIT (association internationale de travailleurs de 1864) l'a démontré. Il a critiqué la seconde mais a recommandé de l'utiliser.
Marx a également dépeint les horreurs du machinisme mieux que personne. Mais il s'y est pourtant rallié en pensant que si les prolétaires s'en emparaient, le machinisme changerait de nature et libèrerait l'humanité des chaînes du salariat. Il avait pourtant bien analysé que les prolétaires ne pouvaient s'approprier l'Etat bourgeois tel quel mais qu'il lui fallait le détruire. Il n'a pas fait cette analyse pour le machinisme. C'est selon nous une erreur ou une illusion magistrale.
Cette acceptation finale du machinisme, c'est à dire de la grande industrie,
a mené tout droit les communistes et la gauche toute entière dans
la gueule du loup, par l'intermédiaire de la voix autorisée de
Marx. C'est à dire en définitive à servir le capitalisme,
par la corruption.
Et l'image et la réalité du communisme n'ont été
autre chose qu'un capitalisme d'Etat sauvage, totalitaire, qui a fait passer
les besoins humains loin derrière les nécessités de la
productivité (voir "La révolution trahie" de Trotsky
où l'une des premières critiques faite à l'URSS porte sur
l'infériorité de la productivité dans ce pays par rapport
au capitalisme occidental).
L'une des meilleures descriptions de ce que fut le communisme l'a été
en 1947 par Kravchenko " J'ai choisi la liberté ", et en 1950
par le même " L'Epée et le serpent ", après son
procès gagné contre les Lettres Françaises et le PCF. Nous
indiquons ceci pour bien appuyer sur le fait que tout était connu par
la gauche sur l'URSS à la fin des années 40, les parisiens s'étant
mobilisés par milliers pour assister au procès, et les journaux
en ayant fait des comptes rendus détaillés. C'est volontairement
que la gauche a voulu ensuite ignorer.
C'est pourquoi nous buvons jusqu'à la lie aujourd'hui et nous subissons les conséquences de la grande industrie qui ne peut être que capitaliste et barbare, jusqu'au désastre. LA MACHINE POUVAIT ETRE UTILISEE DANS UN AUTRE SYSTEME DE PRODUCTION QUE LE MACHINISME.
Du fait de cette "erreur", le capitalisme, quasiment comme système
mû par l'intuition, s'est saisi de cette gauche qui s'offrait à
lui, en accréditant que l'URSS était un paradis ouvrier. De ce
fait il a accordé des réformes provisoires, dans des circonstances
historiques précises, pour construire des rapports étroits entre
le salariat et ses directions afin de maintenir la fiction ci-dessus.
Il a lui-même objectivement participé à la condamnation
de la troisième voie, d'une gauche anticapitaliste démocratique
non communiste (vilipendée par les bolchéviks) en achetant
la social-démocratie, et en s'attachant les directions ouvrières
et syndicales, consciemment divisées.
Il a soumis par un coup de maître le salariat et la classe moyenne par
la consommation de masse, l'individualisme et la télévision.
Il a réfuté tous azimuts l'aspiration à la démocratie
directe en inventant le référendum comme substitut...etc
Et pendant ce temps, il laissait croître ce qui fut quelques années
mis à l'écart, mais qui constitue son essence même, à
savoir le libéralisme économique, pourtant louangé en 1960
dans la rapport Rueff-Armand. Et fort des expériences ratées de
l'URSS et du fascisme, il le jetait dans l'arène froidement dès
les années 80, grâce à son émissaire européen,
la social-démocratie.
C'est la barbarie économique que l'on connait, face à des directions
politiques et syndicales bêlantes et pitoyables....
Voilà dans quel cadre, selon nous, les "Trente glorieuses"
ont eu lieu.
Cette analyse est essentielle pour comprendre les dessous machiavéliques
des trente glorieuses, et le caractère souvent retors de certains acquis
sociaux. L'exemple le plus fameux étant la Sécurité sociale.
Dès la révolution russe du 20ème siècle, les hommes politiques américains ont réfléchi à la manière d'éviter les grands mouvements sociaux autour des salaires et des conditions de travail.
Ils ont commandité des travaux de recherche à leurs sociologues et économistes pour transformer les revendications sociales contre les entreprises, en des revendications pour la participation ouvrière au marché de la consommation. Et pour ce faire ils ont réfléchi à la façon dont on pourrait baisser les prix des biens nécessaires à la vie, et à la façon dont on pourrait rendre accessible aux ouvriers d'autres biens de consommation, comme les automobiles.(Stuart Ewen. La société de l'Indécence, 1976, traduit en 2014)
Pour la première question, il fallait industrialiser l'agriculture pour faire chuter les prix au motif de démocratiser l'accès à la nourriture de base. Il fallait donc faire disparaître la paysannerie par vagues successives. (En France cela se produit après la 2ème guerre mondiale)
Pour la deuxième question, il fallait simplifier à outrance le travail ouvrier, c'est à dire la division de travail, pour faire chuter le prix de revient d'une voiture. Il se trouve que FORD, qui avait travaillé pour Hitler pendant la seconde guerre mondiale, avait une idée précise sur la question: le travail à la chaîne dans les usines. Faire travailler les ouvriers à des grosses cadences pour faire le même geste toute la journée, sur une chaîne où défilait une voiture à monter, permettait une énorme économie de travail, une déqualification considérable, une exploitation extraordinaire et une aliénation du travail comme ont su la décrire quelques écrivains dont Céline dans "Voyage au bout de la nuit".
Le contrat avec les ouvriers était le suivant: vous travaillez sans contester et vous aurez une voiture avec un salaire qui sera rehaussé par l'accès au crédit dans les banques.
Et cela a marché. Les ouvriers américains se sont pris pour des bourgeois au volant de voitures achetées à crédit.
La seconde guerre mondiale ayant fait ressurgir le danger communiste, l'ensemble des gouvernements occidentaux ont financé la paix sociale avec les gains de l'économie d'armement, avec le crédit bancaire et la généralisation des chaînes de production. Les ouvriers ont pu s'acheter des autos, des frigidaires, des machines à laver.... Ils se sont endettés, et se sont mis à penser à leurs traites mensuelles plutôt qu'à la révolution sociale.
Les économistes keynésiens, peu scrupuleux, avec des oeillères devant les yeux, se sont mis à parler du fordisme, pour caractériser cette capacité du capitalisme à se "réformer" et à offrir des salaires acceptables, sans oublier le crédit...
Ils appelèrent cela "la justice sociale" qui pouvait aller de pair avec la croissance de l'économie. Evidemment les bénéfices augmentèrent avec cette manne venue de cette exploitation ouvrière nouvelle, et de cette adhésion à ce qu'on a appelé "la consommation de masse".
Ford aurait pratiqué la justice sociale ?? Ford aurait changé de nature ?? Vaste plaisanterie. C'est la cécité des économistes dits de gauche qui a créé cette illusion mensongère du fordisme.
En Argentine, lors de la dictature militaire entre 1976 et 1983, la firme Ford Motor Company, facilita la séquestration et la torture d'ouvriers dans les locaux mêmes de l'entreprise. Ainsi 24 ouvriers vécurent ce calvaire, dont des délégués syndicaux, et 3 de ces derniers n'ont jamais été retrouvés.
Il y eut 30000 disparus en Argentine. Ford profita de la situation pour augmenter les cadences de ses 5000 ouvriers et casser toute revendication syndicale. Ford bénéficia de l'impunité et vendit 300 modèles d'autos à la junte militaire pour leur sale travail.
Seulement en 2013, d'anciens cadres de Ford ont été accusés et inculpés (Le Monde du 30-12- 2017)
Vive le "fordisme" !
20-1-2018