Dans ce chapitre très dense nous nous proposons d'aborder:
-La théorie de la valeur-travail proprement dite
-La libre concurrence et le salariat
-La valeur de la force de travail et la plus-value comme spécificité capitaliste
-La valeur des marchandises comparée à la valeur de la force de travail
-L'armée industrielle de réservve
-La croissance du taux d'exploitation
-La répartition de la plus-value et sa transformation en profit
Nous revenons en détail sur ces points très intentionnellement. Beaucoup d'économistes marxistes ou non marxistes disent qu'ils savent ce dont il s'agit. La plupart du temps c'est inexact. Beaucoup de sottises ont été écrites au sujet des questions abordées ci-dessous, entre autres sur la question de la valeur de la force de travail. C'est ce chapitre qui constitue la partie la plus dénigrée chez Marx alors que c'est ce qui nous apparaît être le plus fort, le plus incontestable.
Marx n'a rien inventé concernant la théorie de la valeur-travail.
Ce sont les économistes anglais de la fin du 18ème (Smith) et
du début du 19ème siècle (Ricardo) qui ont donné
les bases de cette théorie, théorie suggérée par
l'analyse attentive du fonctionnement de ce qui constitue la base du capitalisme
: l'industrie. C'est donc une théorie objective.
Marx s'en est saisie, l'a complétée et en a proposé une
synthèse magistrale. Et c'est Proudhon, plus âgé que Marx,
qui, à partir de cette théorie, a suggéré le principe
de la plus-value qui était déjà largement contenu chez
Ricardo.
Il revient donc à Marx le mérite d'avoir assimilé et développé
une théorie dont, pour notre part, nous disons que c'est une théorie
scientifique et non une doctrine. La théorie de la valeur-travail ouvre
de telles perspectives de recherches, et colle tellement à la réalité,
que nous lui concédons la qualification d'être scientifique ; tel
n'est pas l'avis des universitaires en général, y compris des
marxistes qui voudraient bien réinventer Marx sans la valeur-travail.
Cette théorie a ceci de fondamental qu'elle distingue " valeur "
et " prix " ce qui ouvre des possibilités immenses de recherches
sur toute une série de phénomènes généralement
incompris. Entre autre elle ouvre la voie à une théorie monétaire
des prix.
Pour Marx le prix n'est pas le résultat de la rencontre de l'offre et
de la demande, le prix se déduit de la valeur. L'offre et la demande
n'ont qu'un rôle secondaire sauf en période de pénurie massive,
donc en période où l'industrie ne fonctionne plus avec un marché
adéquat.
Cette distinction est niée par tous les économistes, ou totalement
édulcorée et dénaturée.
Dans la théorie de Marx, la seule chose qui puisse permettre d'appréhender
objectivement la valeur d'une marchandise ou d'un service est le temps de travail
nécessaire, dans des conditions historiquement et socialement définies,
à la fabrication de cette marchandise, ou à la possibilité
de rendre tel service. Marx suppose que les sociétés anciennes
échangeaient, grossièrement sur cette base, sur les marchés
privés ou d'Etat. Les caravaniers de sel dans les hauts plateaux du Thibet
savaient, et savent encore, que contre tant de litres ou de kilos de sel, on
pouvait obtenir tant de boisseaux d'orge dans les plaines. Apparemment l'échange
était, et reste, basé sur des quantités de marchandises.
Mais une quantité d'orge n'est pas comparable à une quantité
de sel. Il y a autre chose qui gît derrière cela. Ce ne peut être,
selon Marx, que le temps de travail nécessaire pour chercher le sel et
entretenir les bêtes à cet effet, contre le temps de travail nécessaire
pour produire de l'orge dans les champs et entretenir les bêtes de labour.
Qu'il s'ajoute à cela des considérations religieuses, permettant
de ramasser plus ou moins de sel (la déesse du sel), change rien à
l'affaire, lorsque l'échange a lieu. Les thibétains savaient quelle
quantité de sel ils devaient présenter aux cultivateurs pour obtenir
la quantité d'orge désirée pour survivre un an.
Cette appréciation est donc ancienne comme le monde, selon Marx.
Avec l'artisanat, puis surtout l'industrie, cette comparaison devient encore
plus facile, d'autant que les moyens d'apprécier le temps se sont affinés,
avec la complication des horloges, puis l'apparition des chronomètres,
des montres
Il faut donc pouvoir apprécier toute la chaîne
de production utile à la fabrication d'une marchandise, dans les conditions
sociales et techniques moyennes du moment, ce que Marx appelle " le temps
de travail socialement nécessaire ", pour définir le temps
de travail nécessaire à la fabrication d'une marchandise. Avec
ce type d'explication, " l'infériorité marchande " de
l'artisanat devient évidente. Là où l'industrie met une
heure pour fabriquer une marchandise, l'artisanat mettra six heures par exemple.
Le mystère de l'effacement de l'artisanat traditionnel devant l'industrie
disparaît. Si celui-ci subsiste à l'époque capitaliste,
c'est d'une part parce que l'artisan ne compte pas son temps, d'autre part parce
qu'il se réserve des niches où l'industrie ne pénètre
pas : la réparation, la rénovation, la pose, l'installation, l'individualisation
dans la fabrication d'une marchandise, la recherche d'une panne (même
si les techniciens sont préposés à cela), la production
d'uvres artistiques. Mais avec l'effacement de l'artisanat, disparaissent
les immenses qualifications et savoirs des peuples artisans, les métiers
d'art, l'union du travail intellectuel et du travail manuel, la création
dans tous les domaines, toutes choses qualifiées d'archaïsme par
la pensée dominante occidentale.
L'INSEE a délibérément cessé, dans les années 60, de faire des comparaisons de temps dans la fabrication des marchandises, alors qu'elle le faisait systématiquement. Le motif invoqué : on ne peut comparer dans le temps des marchandises qui ont totalement changé, qui n'ont plus la même forme, ou dont les usages se sont diversifiés. C'est là une argutie. On peut choisir des marchandises qui, dans le temps, ont gardé le même usage ou presque, et comparer leur temps de fabrication. On peut comparer plusieurs marchandises anciennes avec une marchandise moderne qui réunit les fonctions des anciennes marchandises. En réalité derrière le choix de l'INSEE il y a une attitude idéologique : il faut éradiquer tout ce qui pourrait justifier la théorie de la valeur-travail. De plus, plus que jamais, les moyens actuels comme les ordinateurs permettent de calculer des temps de travail très fins. Fourastié, qui n'était pas marxiste, faisait des comparaisons de marchandises en temps de fabrication et disait naïvement que toute théorie des prix devrait se fonder sur le temps de travail (J Fourastié, B Bazil, Pourquoi les prix baissent, 1984, Hachette, Pluriel). Il a dû arrêter ses comparaisons il y a 40 ans. Des journaux d'entreprises, tels que " Usine Nouvelle " font pourtant ce type de comparaison, par exemple dans la construction automobile en indiquant que la supériorité japonaise tient à un temps de fabrication moindre. Paradoxalement, les intellectuels économistes, en bons valets du système dominant, expliquent qu'il n'est pas possible, dans la société moderne, d'aborder la question de la production des marchandises en terme de temps de travail. Ce type de raisonnement est devenu la grande mode. Des économistes très en vogue rendent le plus grand service à l'idéologie dominante en expliquant que le temps ne peut plus être le critère de la valeur du travail. Exemple le très médiatique Bernard Maris qui se targue d'être le plus grand critique de l'économie officielle en France (Anatomie d'une erreur, Le Monde du 19-5-95). Non seulement il ne comprend rien à Marx parce qu'il ne l'a pas lu, mais il prétend que ce dernier a fait une erreur fondamentale concernant la valeur-travail parce qu'il ne connaissait rien aux mathématiques. Quand on sait les stupidités que les économistes peuvent écrire en utilisant les mathématiques (parce qu'ils les utilisent à mauvais escient), pour rehausser leur " pensée ", ou pour donner à cette dernière un caractère définitivement incompréhensible, mais apparemment très savant, on peut recommander à B.Maris de procéder à des démonstrations et non à des affirmations . En outre quand cet économiste nous dit que l'économie ne dispose pas d'étalon de mesure, nous lui disons très sérieusement de lire Marx et le Capital. Mais il n'est pas le seul à avoir abondé dans ce sens. La mode veut également que l'on explique que l'éclatement du travail, le télétravail (travail à domicile pour les informaticiens entre autre), interdit que l'on puisse mesurer le temps qu'un salarié passe à produire une marchandise ou un service. Sauf que le travail à domicile est vieux comme le monde. Marx y voit la possibilité d'une exploitation éhontée.
Si la valeur-travail est une réalité historique très ancienne,
ce qui intéresse Marx, c'est son fonctionnement dans l'industrie qui
caractérise le capitalisme.
Pour " libérer la production " à leur profit, l'une
des premières tâches des marchands-entrepreneurs, entre la fin
du 16ème siècle et le 19ème siècle, sera de faire
entrer dans les murs le principe de la concurrence (en Angleterre le 17ème
siècle ouvre la voie à la libre concurrence du fait de l'arrivée
de la République de Cromwell avec l'appui des marchands ; en France,
il faudra attendre un siècle de plus et une loi : la loi Le Chapelier
de 1791) qui aura les conséquences les plus désastreuses sur le
salariat qui en naîtra. Le principe de concurrence s'appuie d'une part
sur l'embauche d'individus " libres " (de leur famille, de leur corporation),
et d'autre part sur la liberté individuelle de l'entrepreneur d'utilisation
de la technique. Désormais, chaque entreprise utilise la technique comme
elle l'entend en dehors de tout contrôle social, en vue de prendre la
plus grande part possible du marché contre les concurrents. Ce sera le
règne de la productivité du travail, que l'on cherchera à
rendre toujours plus efficiente. La société passera ainsi à
une exploitation dans l'industrie bien plus systématique que celle qui
existait dans l'agriculture ou dans l'artisanat. En permettant la libre concurrence,
la voie est ouverte au développement extraordinaire de la plus-value,
caractéristique du système industriel et base d'une nouvelle forme
de croissance de capital : le capital industriel. L'industrie transforme le
compagnonnage en salariat, systématise l'embauche de salariés
qui n'auront aucun droit (à la différence des compagnons), et
verront disparaître leur savoir-faire, leur qualification, leurs mutuelles,
leur fierté, et les dépouilleront de leurs outils.
Ce qui caractérise donc le capitalisme, c'est la croissance du capital,
sur la base de la productivité du travail, du " travail libre ",
du travail salarié d'usine pour la fabrication des marchandises en masse.
L'entrepreneur capitaliste vise avant toute chose cette croissance, par la médiation
de la fabrication des marchandises. De ce fait, l'entrepreneur capitaliste est
bien obligé de répondre à des besoins socialement reconnus
sur le marché, mais ces derniers doivent servir son dessein premier qui
est l'accumulation. Ce qui signifie que la perspective change totalement. On
ne produit pas d'abord pour les besoins humains, comme le paysan traditionnel
produit pour assurer de quoi vivre, ou comme l'artisan qui répond à
la demande stricte des consommateurs. L'entrepreneur fait produire, dans le
cadre certes de besoins traditionnels, puis dans le cadre de besoins qu'il va
orienter de plus en plus, pour faire du profit et accumuler. Ce qui importait
précédemment, était la quantité et la qualité
des biens produits; ce qui importe avec l'industrie, est la quantité
de capital qui va servir à l'investissement, en vue de démultiplier
l'industrie, dans le but d'enrichir la classe des puissants, dans le cadre d'une
concurrence exacerbée. Ce n'est pas la satisfaction des besoins humains
qui est recherchée, mais l'asservissement des consommateurs à
des marchandises et des besoins " guidés " et " dirigés
" par les nécessités propres de l'entrepreneur, y compris
l'inutile et la mauvaise qualité, qui, dans son langage, prétendra
viser prioritairement la satisfaction du consommateur. Comme ce dernier n'est
pas totalement passif et finit par faire valoir ses droits, l'entrepreneur,
ou le groupe capitaliste, peuvent se trouver obligés de passer un compromis
entre les exigences de celui-là et leurs propres exigences. Aujourd'hui,
n'importe quoi est compté dans les marchandises : le sexe, la drogue,
les organes humains, le sperme, les gènes
Sur le plan théorique, il faut comprendre qu'il n'y a aucune commune
mesure entre la richesse produite dans le cadre traditionnel, et la nouvelle
richesse spécifique du capitalisme : du capital qui prend la forme argent
et qui finit par imposer des marchandises d'un type particulier.
De ce fait, tandis que le paysan et l'artisan travaillaient uniquement pour
ce qui était nécessaire, le capitaliste produit toujours plus
que le nécessaire et cherche à vendre, par la publicité
et le façonnage de la demande, en explorant des marchés nouveaux.
La concurrence jouant un rôle majeur dans cette nouvelle forme de production,
les capitalistes vont se " manger " entre eux, se faire une guerre
sans merci, s'éliminer. Ceci éclaire la raison pour laquelle la
société artisanale des corporations, ou des castes, avait pour
principe d'interdire la concurrence, comme étant déloyale par
nature, dangereuse, immorale.
Qu'est-ce donc précisément que la plus-value ?
La valeur de la force de travail (ou le salaire) du travailleur, dans les circonstances
de la naissance de l'industrie capitaliste, est représentée par
une quantité de marchandises pour la conserver théoriquement et
la reproduire (Travail salarié et Capital, 1849, tome I, La Pléiade).
Dans la mesure où Marx précise que l'appréciation de la
valeur de la force de travail est purement sociale et historique, au mieux elle
représente un standard de vie acquis par le salariat. Mais le problème
est encore ailleurs. Le paiement du salaire, selon une valeur théorique
de la force de travail, ne préjuge pas de l'emploi de celle-ci. Les limites
de l'emploi de la force de travail, c'est l'énergie et la force physique
du salarié. S'il y a éventuellement des limites qui fixent la
valeur de la force de travail, il n'y a aucune limite à son emploi, et
aucune limite à la quantité de travail que peut produire cette
force de travail. De ce point de vue, la plus-value n'est pas la différence
entre une quantité de travail nécessaire à la production
pour la vie des hommes et pour la société en général
et une quantité de travail nécessaire aux producteurs pour se
reproduire et survivre, ces quantités étant supposées être
gérées harmonieusement par le capital. La plus-value est une spécificité
capitaliste. C'est le propriétaire du capital qui décide de l'emploi
des forces de travail pour créer la valeur qui est nécessaire
à l'entreprise et non à la vie des hommes.
Donc la force de travail produit bien plus de valeur que ce qui est nécessaire
à sa survie et à sa reproduction. Ce surplus est approprié
par le capitaliste. C'est ce que Marx nomme le " surtravail ", ou
le travail extorqué, base de la plus value (Salaire, Prix et Plus value,
1865 et Le Capital, 1867, p 512, La Pléiade, tome I).. La gourmandise
du capital vis à vis de la plus-value est telle que le capitaliste tente
de rogner toujours plus ce qui doit revenir au salarié pour assurer sa
survie. Marx suppose à son époque que le minimum pour la survie
est donné, d'autant plus que les ouvriers vont s'organiser pour exiger
plus que la survie.
Marx n'avait pas imaginé qu'au 20ème siècle, les employeurs
pourraient estimer nécessaire la disparition d'une partie de la main
d'uvre en surnombre, ce qu'ils ont nommé le trop plein de population,
venu de la démographie
Cependant Marx indique déjà
que pour le capital, il n'y a aucune limite à l'utilisation de la force
de travail, si ce n'est l'opposition du salarié, son organisation ou
sa mort. Le meilleur exemple à cela est la façon dont les salariés
de l'industrie ou de la terre sont traités dans les pays du Tiers monde,
là où il n'y a pas de syndicats ou peu, là où les
propriétaires terriens et les grands patrons peuvent pratiquement faire
ce qu'ils veulent face à ce qu'ils croient être une sous-humanité.
Les capitalistes sont pris entre deux nécessités qui peuvent apparaître
contradictoires dans le Tiers monde. D'une part l'abondance de main d'uvre
venue, avant tout, de l'exode rural, permet d'offrir des salaires qui ne couvrent
même pas la survie, ce qui est bénéfique pour l'extraction
de la plus-value. D'autre part, cette même abondance peut générer
des révoltes incontrôlées qui font peur aux détenteurs
du capital. De ce fait les tentations génocidaires sont importantes :
c'est toute l'histoire des conflits inter-ethniques suscités conjointement
par la misère, les services secrets de l'Occident, les maffias financées
par les ex-pays coloniaux, les groupes de la pègre armés par ces
derniers (Rwanda, Libéria, Sierra Leone, Somalie, Angola, Colombie
).
Des milliers de morts en quelques mois n'empêchent pas le capitalisme
de continuer à bénéficier d'une main d'uvre qui reste
abondante
De la même façon, les famines (dont l'origine n'est
pas d'abord la sécheresse, mais des gouvernements corrompus et incapables,
soutenus ou mis en place par l'Occident) qui s'ajoutent aux guerres, intensifiées
ou provoquées par l'Occident, achèvent l'uvre d'élimination
des populations, sans parler des maladies, anciennes et nouvelles.
Quelle est la méthode, selon Marx, pour obtenir l'utilisation maximum
de la force de travail ? En Europe au 19ème siècle, ce fut la
journée de travail interminable, la division du travail, le travail des
jeunes enfants, des femmes pour des salaire égaux au tiers de celui des
hommes, le chômage par l'exode rural; et dans le Tiers monde aujourd'hui,
c'est encore la journée de travail, le travail des enfants et des femmes
à des tarifs défiant toute concurrence, et un exode rural plus
ravageur que jamais. Dans le même temps ce fut, et c'est toujours, la
productivité du travail pour intensifier la division du travail, c'est
à dire la mécanisation, l'automatisation industrielle. Que l'homme
soit sur la machine, ou qu'il surveille la machine sur un écran, le résultat
est le même : le salarié, à l'aide d'une machine (de plus
en plus perfectionnée) va produire 10, 20 fois plus en une heure qu'il
ne produisait auparavant. Le paradoxe de cette situation veut que les détracteurs
de Marx voient dans la productivité du travail, non pas le moyen d'extraire
davantage de surtravail sur les salariés, non pas le moyen d'intensifier
le travail, les cadences, mais une nouveauté que Marx n'aurait pas vue,
à savoir que ce serait désormais la machine qui produirait la
valeur, sans l'aide de l'homme. Si le contenu du travail a changé, il
n'en demeure pas moins que les salariés sont indispensables au fonctionnement
de l'usine. C'est si vrai, que lorsque ceux-ci se mettent en grève, l'usine
s'arrête. Mais sur les machines, il est vrai que les capitalistes ont
de moins en moins besoin d'ouvriers. Les salariés, sous la direction
capitaliste et selon les propres règles du capitalisme, sont à
l'origine de la conception de l'organisation du travail, des ateliers, de la
nature des machines (les ingénieurs et cadres), ils les surveillent et
les réparent, ils les nettoient, les entretiennent (techniciens et OQ),
et encore aujourd'hui ils manient des pièces sur la machine elle-même
dans le cadre d'un taylorisme toujours existant (ouvriers sans qualification).
Dans ces usines, les salariés travaillent en continu, en 3/8, en 4/8,
par équipes chevauchantes, etc. Si les capitalistes pensaient qu'ils
pouvaient produire de la valeur seulement grâce aux machines, ils auraient
accéléré encore davantage l'automatisation jusqu'à
faire ce dont Marx rêvait dans la société communiste: des
entités totalement automatisées sans intervention humaine. Mais
cela n'est pas pour plusieurs raisons, des impossibilités techniques
et l'impossibilité pour le capital de se séparer du travail. La
théorie de la plus-value théorisée par Marx permet une
lecture compréhensible et rationnelle de la politique des grands groupes
industriels dans le Tiers monde, et de celle des Etats Occidentaux à
travers le FMI, ou la guerre.
Ajoutons que les politiques libérales utilisent en Occident, et ailleurs,
la flexibilité du travail sous toutes ses formes et la baisse des salaires
par la précarité, pour obtenir un maximum de surtravail.
Mais surtout l'armée industrielle de réserve, analysée
par Marx, joue un rôle majeur pour abaisser la valeur de la force de travail.
La valeur de la force de travail n'intervient pas dans la valeur des marchandises.
Ce sont deux choses différentes. C'est en raison de cette incompréhension
que nombre d'auteurs marxistes ont prétendu qu'il y avait des erreurs
majeures dans la théorie de Marx.
La valeur de la force de travail est égale dans la société
capitaliste, pour Marx, à la quantité de marchandises nécessaire
à sa reproduction, donc la valeur de la force de travail d'un ingénieur
est bien plus élevée que celle d'un simple ouvrier. On peut en
décider autrement dans une autre société, naturellement.
Cette question très importante sera laissée en suspens ici, car
elle sort un peu de notre propos.
Le préjugé selon lequel la valeur des marchandises doit contenir
les différents éléments de la valeur de la force de travail,
ou dit autrement, le préjugé selon lequel, une fois la transformation
de la plus-value en profit faite, le prix devrait contenir les différents
éléments du salaire, est fondamentalement ancré dans les
esprits, surtout des économistes. En effet, selon la théorie des
prix de l'économie dominante, le prix est fonction du salaire. Plus le
salaire serait élevé, plus le prix en subirait les conséquences.
Cela est inexact dans la logique de Marx. Selon lui, plus le salaire est élevé,
moins la plus-value est grande. Il faut donc opérer une récupération
sur la plus- value. Par contre le prix des marchandises est toujours fonction
du temps de travail nécessaire socialement pour fabriquer une marchandise,
et de la concurrence ; C'est bien pourquoi, les ingénieurs ne font ni
39, ni 40 heures, mais plutôt 45 ou 50 heures, dans des conditions de
grande intensité du travail. C'est la condition de leur maintien dans
l'emploi. Ce que l'employeur perd en salaire, il le récupère en
heures non payées, en plus- value.
Les deux théories étant inconciliables, du point de vue même
de la compréhension, lorsque le préjugé est érigé
en évidence, les non marxistes, comme les marxistes eux-mêmes,
ont sans arrêt cherché à trouver les contradictions dans
la théorie de Marx, à ce niveau là.
Marx est cependant étonnamment clair à ce sujet : quelle que soit
la nature de la force de travail, qualifiée ou non qualifiée,
et son mode de rémunération, la valeur des marchandises s'établit
indépendamment d'elle et s'apprécie en temps de travail (Le Capital,
chapitre 6, Tome I, p 714 ,pour la valeur de la force de travail ; Misère
de la philosophie, valeur constituée, tome I, p 28 sq, sur le travail
simple et le travail complexe. Marx ici introduit une difficulté de lecture
en parlant de la " valeur de travail " pour valeur de la force de
travail ")
Et la valeur des marchandises ne s'accroît pas d'autant plus que la valeur
de la force de travail aura coûté cher. La question du salaire
est cruciale par rapport à la grandeur de la plus value et non point
par rapport au prix.
Les détracteurs " marxistes " de Marx (Ouvrages cités
au début : Bidet, Denis..), dans l'incapacité de le lire et de
le comprendre correctement, vont s'appliquer à démontrer que la
rémunération du travail qualifié (ou complexe) entre forcément
dans le prix, dénaturant ainsi la théorie de la valeur-travail.
Et ils concluront abusivement que la théorie de la valeur-travail est
forcément pleine d'erreurs et de contradictions puisque Marx ne dit pas
clairement ce qu'ils veulent qu'il dise !
Marx, au grand scandale des économistes du 19ème siècle,
analyse le chômage non pas comme le résultat d'une volonté
des ouvriers, mais comme une nécessité du capitalisme. La tradition
libérale anglaise, Ricardo en tête, veut que l'ouvrier soit tenté
de comparer le salaire offert par l'usine et ce qu'il recevrait de la loi sur
les pauvres, pour choisir de ne pas travailler. D'où l'idée que
le chômage est une attitude ouvrière de paresse ! Si effectivement
l'ouvrier pouvait faire ce genre de calcul, c'est que le salaire offert couvrait
à peine la survie, et que l'homme " libre ", dit ouvrier, était
traité comme une sous-humanité.
A cette idée, des économistes comme Malthus, Bastiat plus tard,
vont ajouter que les salaires sont d'autant plus bas que les ouvriers font trop
d'enfants. Non seulement ils sont paresseux, mais ils s'adonnent au vice (étant
entendu que la bourgeoisie ne s'adonne pas au vice et pratique la vertu..).
Marx va donc, dans des pages documentées, sévères, incontestables,
fonder l'armée industrielle de réserve comme besoin fondamental
du capitalisme (Le capital. La loi générale de l'accumulation.
Production croissante d'une surpopulation relative ou d'une armée industrielle
de réserve. p 1141, la Pléiade I). Marx explique que le capital
variable (paiement des salaires), s'il croît de façon absolue,
et entraîne une augmentation continue du nombre des salariés, doit
décroître de façon relative dans le total du capital, du
fait du mouvement même de l'accumulation fondée sur la productivité
du travail. Ceci provoque une surpopulation
relative. Dans de très belles pages, Marx parle des différentes
parties de l'armée industrielle de réserve, la partie la plus
démunie étant constituée par ceux qui ne parviennent plus
à trouver du travail , les malades, estropiés, veuves, puis ce
qu'il appelle " l'enfer du paupérisme " : les vagabonds, les
criminels, les prostituées, les mendiants, et ce qu'on appelle les classes
dangereuses, c'est à dire ceux qui sont définitivement exclus
du travail salarié. Nous y reviendrons plus tard à propos d'une
autre question.
La réalité du paupérisme se voit tous les jours et de plus
en plus dans nos sociétés occidentales, et de façon encore
plus accablante dans les pays du Tiers monde.
Dans l'industrie, la diminution relative des ouvriers, dans le total des salariés,
est acquise depuis les années 60, dans tous les pays capitalistes. Leur
diminution absolue a commencé. Par contre le nombre des salariés
croît dans le commerce, et tout ce qui relève de la finance. Et
enfin depuis la seconde guerre mondiale, les Etats capitalistes emploient de
10% (USA, Japon) à 25% (France) des salariés dans la fonction
publique ce qui compense fortement les pertes ouvrières.
Enfin, ce dont Marx parle insuffisamment, car il n'en connaissait pas l'ampleur,
c'est de l'exode rural qui, aujourd'hui dans le monde, est le principal facteur
d'accroissement de l'armée industrielle de réserve. Le deuxième
facteur de cet accroissement est la destruction des industries nationales dans
les pays du Tiers monde, pour les remplacer par des industries complémentaires
de celles des pays capitalistes.
Si dans les pays capitalistes, l'exode rural a à peu près été
compensé par un emploi industriel équivalent, cela ne se passe
pas ainsi, et ne peut pas se passer ainsi, dans les pays du Tiers monde. Ce
qui s'est passé dans les pays industriels est de l'ordre de l'exception,
pour des raisons qu'il faudrait expliquer longuement.
Il a fallu l'intervention de Keynes après la crise de 1929 pour faire
admettre que le chômage n'était pas volontaire mais involontaire,
et que le capitalisme pouvait très bien fonctionner normalement à
l'équilibre avec du sous-emploi. Sous ces expressions, Keynes fait accepter,
dans des circonstances difficiles, où le monde occidental craint la révolution
sociale, l'idée que le chômage est une réalité du
capitalisme qu'il convient de modifier avec des politiques d'Etat adéquates.
Marx expliquait que la conséquence de l'existence de l'armée industrielle
de réserve était la pression sur les salaires, ce qui permettait
d'en espérer une plus forte plus-value. De plus rien de tel que le chômage
pour casser une organisation ouvrière.
Les pays capitalistes, dans la crainte de mouvements sociaux trop importants,
ont tenté de limiter le chômage en instituant des législations
contre l'immigration. Les objectifs de ces législations sont divers et
variés : protéger la main d'uvre nationale, préserver
à cette dernière des avantages qui permettront d'interdire toute
solidarité avec la main d'uvre étrangère, préserver
également des salaires très bas dans les pays du Tiers monde,
également permettre le travail clandestin puisque toute interdiction
est nécessairement contournée, et chacun le sait. Le résultat
est le renforcement de la xénophobie des salariés occidentaux
contre les travailleurs immigrés, l'amoindrissement progressif du statut
des réfugiés, et la perte de la notion de l'internationalisme
prolétarien. Qui est gagnant ? Le capital qui, aujourd'hui, frappe les
salariés des pays occidentaux en position de faiblesse.
Le moyen de suppléer aujourd'hui à l'immense misère produite
dans les pays du Tiers monde, entre autres par les politiques occidentales du
FMI, est représenté par les ONG humanitaires, qui commencent à
se poser des questions de fond sur leur rôle. Les organisations humanitaires
joueraient en effet le même rôle que les organisations pour les
pauvres au 19ème dans les pays occidentaux, en vue de corriger les effets
des salaires de survie, tout en permettant la pérennité du système.
La nécessité de l'armée industrielle de réserve
est justifiée par le système capitaliste de manière indirecte,
lorsque les pays occidentaux interdisent la libre circulation des travailleurs,
et des humains en général, entre pays du Tiers monde et de l'ex-URSS
avec les pays occidentaux. En effet la libre circulation supprimerait la concurrence
entre travailleurs, supprimerait l'avantage des très bas salaires dans
le Tiers monde, rétablirait des liens de solidarité, ferait disparaître
un certain nombre d'avantages pour les travailleurs des pays riches, mais exigerait
de remettre à plat toute une série de problèmes qui aboutirait
à la mise en cause du système. Tandis que nous serions définitivement
entrés dans l'ère de la mondialisation, c'est-à-dire de
la libre circulation des capitaux et des marchandises, il n'est nullement question
d'y adjoindre celle des humains, et pour cause !
Plus la plus-value est importante, plus le taux d'exploitation est élevé.
Ce dernier s'écrit : PL / C+ V, où C est la capital constant (machines,
bâtiments, outillage, matières premières, produits semi-finis)
et V le capital variable, c'est à dire la masse des salaires versés.
La plus-value étant clairement définie comme étant le surtravail
qui, dans la société capitaliste, accroît le capital mais
use la force de travail, la détériore, la saccage parfois, le
taux de plus-value, ou le degré d'exploitation (Le Capital, Tome I, la
Pléiade, p 764 sq) est ensuite déterminé selon cette formule
pour Marx. Plus-value, surtravail et travail non payé étant des
termes équivalents, Marx fait le rapport entre la plus-value et la totalité
du capital (C+V) pour définir le taux d'exploitation du travail.
La plus-value n'est donc pas, comme les post-keynésiens (les successeurs
de Keynes qui fondent l'idéologie social-démocrate) ont parfois
tenté de l'écrire, la différence entre la richesse globale
produite par une société quelconque et ce qui est consommé
par les individus de cette société, pour permettre l'investissement.
La plus-value n'est pas cette partie de la richesse produite que le paysan met
de côté pour ses semences, pour la nourriture de son bétail
l'hiver, pour la réparation de ses outils et de sa maison etc, ou ce
que l'artisan met de côté pour la réparation de ses outils,
l'achat de matières premières, l'achat d'une nouvelle machine
à bras. La plus-value est le travail non payé d'une classe particulière,
le salariat, dans une situation où il n'y a pas de limite d'utilisation
de la force de travail, sauf le rapport de force que va opposer ce salariat.
C'est cette plus-value que s'approprie, non pas la société, mais
la classe dominante. Les post-keynésiens, qui ne raisonnent jamais en
termes de classes, supposent que c'est la société qui se l'attribue
pour le bien commun.
Les moyens d'augmenter le taux d'exploitation:
-La baisse des salaires . Aujourd'hui cette baisse peut être obtenue grâce
à la précarité du travail, à la flexibilité,
au temps partiel, à l'abandon des conventions collectives, à l'accroissement
de l'armée industrielle de réserve.
-Maintien des salaires stables ou bas : la baisse des prix de l'alimentation
par l'industrialisation de l'alimentation et de l'agriculture est une arme prioritaire.
Ce fut la politique d'après-guerre. La paysannerie fit toujours les frais
de la volonté des industriels de bloquer au maximum les salaires. Au
19ème siècle, la GB prêcha pour le libre échange
concernant le blé en 1846 pour que les blés américains,
moins chers, concurrencent le blé anglais. L'objectif était de
maintenir les salaires bas par le " pain pas cher ". En France, après
la seconde guerre mondiale, l'exode rural suivit de près une politique
systématique d'industrialisation de l'agriculture, moyennant quoi, l'ouvrier
put manger de la viande tous les jours, s'acheter une voiture, puis un appartement.
On ajouta simultanément à l'industrialisation de l'agriculture
la sécurité sociale, les allocations chômage, le crédit
à bon marché. Ces trois derniers éléments servirent
de monnaies d'échange : la paix sociale contre la permanence d'un revenu
qui resta le plus faible possible.
-L'augmentation de la productivité du travail par tous les moyens : rapidité,
flexibilité, mobilité, répétition des mêmes
gestes (accélération du taylorisme), machines de plus en plus
performantes
-L'emploi de la main d'uvre étrangère, légalement
ou illégalement pour lui faire casser les salaires dans des domaines
où la productivité resta faible longtemps (Bâtiments et
travaux publics).
-Politique d'intégration des syndicats à l'entreprise et à
l'Etat, qui s'avéra concluante vers les années 60. Le syndicalistes
sont largement devenus des gestionnaires du capital, et la grève est
devenue largement une récrimination des " camelots " de la
République, contre les usagers.
-diminution du prix de ce qui constitue C, le capital constant : acheter les
matières premières à bon marché, dans les colonies
; fermer les mines peu rentables (même si la matière première
y est de bonne qualité), acheter à l'étranger des produits
semi-finis moins chers qu'au plan national
(ce fut en France la liquidation
des mines de fer et de charbon), faire fabriquer à l'extérieur
des produits semi-finis non soumis à la fiscalité de la métropole.
Aujourd'hui l'organisation systématique de la précarité
de la main d'uvre, en vue de la soumettre à la discipline capitaliste,
associée à la flexibilité, s'ajoutent à ces moyens
toujours d'actualité.
.
Marx avait énuméré une partie de ces moyens à son
époque, et il lui paraissait totalement sûr que le capitalisme
trouverait toujours les moyens d'augmenter le taux d'exploitation, sauf si les
ouvriers faisaient obstacle à ces moyens. L'activité militante
des ouvriers lui semblait être la seule possibilité d'ouvrir une
crise sans issue pour le capitalisme. Il ne croyait pas possible que le capitalisme
succombe à ses crises périodiques, au contraire absolument nécessaires
à la concurrence et à la recomposition ou centralisation du capital.
La répartition de la plus-value (Salaire, Prix et Plus value, p 516, p 528-529) constitue un autre problème intéressant. Mais elle ne joue tout son rôle dans l'économie, que lorsqu'elle se transforme en profit monétaire. C'est ici que le marché est nécessaire pour ce que Marx nomme la " réalisation ". La plus value est engrangée en temps de travail dans l'entreprise. Elle ne devient efficace quant à l'investissement et au niveau de vie de l'entrepreneur, que lorsque ce temps de travail prend une forme monétaire, lors de la vente des marchandises. Marx explique que cette transformation s'effectue au profit des entreprises les plus capitalistiques, c'est à dire les plus productives. La plus-value ne revient pas intégralement en profit monétaire entre les mains du petit entrepreneur, mais une partie est appropriée par les entreprises les plus concurrentielles. La répartition de la plus-value se fait, en fonction de la concurrence, au profit des entreprises qui sont dominantes techniquement, et c'est le marché qui réalise cela (Marx , le Capital, Livre 3, section I, tome II la Pléiade). Ici Marx commet une erreur méthodologique considérable, mais excusable à son époque. Il n'a nulle idée de l'importance des phénomènes monétaires sur les prix. Pour simplifier sa démonstration, il fait comme si la composante monnaie, dans le prix, était nulle, ou homogène. Donc il passe allègrement de la valeur au prix en ne parlant pas de la composante monnaie dans le prix. Ceci rend sa démonstration impossible pour l'après première guerre mondiale, la grande période d'inflation européenne. La plus-value peut être immense, le profit peut être très bas du fait des problèmes monétaires. L'inflation va précipiter la concentration du capital et faire disparaître petites et moyennes entreprises. La conclusion précédente de Marx va rester valable mais demanderait une démonstration supplémentaire complexe. Aucun marxiste n'a tenté de la faire et n'a signalé cette difficulté. Emmanuel, en 1969 (L'échange inégal, Maspero), reprend cette démonstration de Marx, sans en changer une virgule, pour montrer, à juste titre d'ailleurs, que les pays dominants pompent la plus-value des pays dominés par le même mécanisme. Sandretto (1993, Le commerce international, A Colin), reprend lui aussi intégralement la démonstration d'Emmanuel sans que cela lui pose problème. Aussi juste que la thèse puisse paraître, il est gênant de réduire la théorie des prix de Marx à la théorie de la valeur du fait de la légèreté de Marx lui-même.
Le profit monétaire va irriguer l'ensemble de l'économie capitaliste et être happé par les différents protagonistes qui la dominent, selon les rapports de forces existant entre eux. C'est ainsi que l'industrie ne garde du profit que ce qui constitue le profit industriel, tandis que les banques et la finance se saisissent d'une autre partie répartie entre les différentes sortes d'intérêts, et les propriétaires fonciers prendront cette autre partie du profit transformé en rente, la bourse étant aussi l'un des principaux véhicules de cette répartition. Cette question est particulièrement importante, surtout dans le cadre des discussions oiseuses actuelles où le capital financier supplanterait le capital industriel, non pas par l'appropriation de plus en plus importante de la plus-value transformée en profit, mais sur la base de la " spéculation financière ", la bourse ne constituant pas l'un des organes d'appropriation, de collecte et de ventilation de la plus-value, mais le temple de la spéculation, là où l'on ferait de l'argent avec de l'argent, sans aucune base réelle, c'est à dire sans exploitation. Il n'est pas de bon ton de rappeler cette mise en évidence de l'exploitation par Marx, le post-keynésianisme ayant totalement dévoyé toute approche marxiste, et les marxistes eux-mêmes. Cependant un auteur ose revenir sur cette question, c'est le professeur J.M, Harribey, qui a précisément écrit un article fort intéressant récemment : "L'entreprise sans usines ou la captation de la valeur " (Le Monde du 3-7-01).
La théorie de la plus-value et de l'exploitation de Marx nous paraît
d'une grande actualité. S'il était vrai que les intérêts
des salariés pouvaient rejoindre ceux du capital, il ne serait pas nécessaire
aux propriétaires de capital de proposer des politiques d'embauche de
plus en plus précaires. L'emploi ne croît ces dernières
années que sous l'effet de l'augmentation des précaires de toutes
sortes et des temps partiels que l'on soumet à une productivité
de plus en plus grande. La baisse de la durée du travail est organisée
de manière à ce qu'il n'y ait pas d'embauche supplémentaire
par le jeu de la flexibilité du temps de travail. Elle ne sert en définitive
qu'à faire entrer dans les murs une durée hebdomadaire très
variable qui ne correspond qu'aux nécessités de la concurrence.
Et l'armée industrielle de réserve joue plus que jamais son rôle,
alimentée par les travailleurs étrangers clandestins ou non.
Pourtant la théorie de Marx a été dévoyée,
très souvent par les marxistes eux-mêmes sous l'effet des postkeynésiens.
Ceux-ci vont rendre d'éminents services à la " science "
bourgeoise en particulier en essayant de casser la théorie de Marx sur
plusieurs points : d'une part le temps de travail ne serait plus opératoire
pour mesurer la valeur des marchandises et services à l'époque
moderne. Devrait intervenir dans la valeur, la valeur de la force de travail,
et des éléments non liés au temps. D'autre part on ne pourrait
plus mesurer le temps de fabrication d'une marchandise, ou le temps pour effectuer
un service, ce serait devenu beaucoup trop compliqué. La marchandise,
dans le temps, n'est plus la même ; les comparaisons seraient devenues
impossibles. Nous nous sommes déjà exprimé sur ces points,
mais nous ajoutons qu' Il y a là une volonté de ne pas comprendre
ou une falsification des textes de Marx qui prend soigneusement le temps d'expliquer
que la valeur de la force de travail ne saurait fonder la valeur des marchandises.
De plus c'est le contenu de la valeur d'usage de la marchandise qui permet de
la comparer avec son homologue dans le temps, ce ne sont pas spécifiquement
ses caractéristiques physiques qui évidemment se modifient.
Enfin, des thèses adjacentes se sont ajoutées à ce qui
précède : c'est le capital qui produirait de la plus-value, avec
l'automation, et Marx grossièrement ne l'aurait pas vu. Ou bien l'exploitation
ne serait qu'un problème de mauvaise distribution de la plus-value, et
non pas la phénomène lui-même de création de plus-value.
Plus grave sans doute est la thèse selon laquelle le passage de la valeur
au prix ne serait pas valide; par conséquent le passage de la plus-value
en profit serait indémontrable.
Nous pensons quant à nous que ce qui restera de Marx, ce qui en fait
un penseur universel, c'est sa théorie de la valeur travail, et surtout
sa théorie de l'exploitation. Il n'y aurait pas eu chez lui une analyse
aussi percutante de la nature du capitalisme sans ces théories.
C'est évidemment cela que les économistes du 19ème et du
20ème siècle ont tenté d'effacer et de récuser.
Nous allons voir plus loin que, grâce à la théorie de la
valeur travail, il y a en filigrane chez Marx, une théorie monétaire
la plus percutante qu'il soit. Mais personne n'a voulu le voir, même dans
le camp des marxistes.
Ajoutons que pour Marx, il ne peut y avoir d'effondrement du capitalisme tant
que celui-ci peut extraire de la plus-value. Seule, l'activité des salariés,
peut limiter cette extraction,ou la mettre en cause gravement. Une crise sociale
et politique qui porterait sur la nécessité d'en finir avec l'exploitation
pourrait défaire le système. Tandis que les crises économiques
du système lui-même ne sont pas un empêchement à extraire
de la plus-value au contraire. En provoquant chômage, baisse des salaires,
démoralisation et soumission des salariés, elles sauvent le système.
Tant que le mouvement des salariés n'est pas organisé pour renverser
le capitalisme, celui-ci vivra, mais orientera la société vers
toujours plus de barbarie.
Le Monde du 17-8-12
Cisco a fait 8 mds de dollars de bénéfice net en 2012, contre 6,4 mds en 2011. Comment ?
Cisco projette de donner à l'avenir 50% de ses liquidités à ses actionnaires. Comment ?
Voyant la situation en Europe, Cisco a d'abord cherché de nouveaux marchés en Inde et en Chine. A partir de là l'entreprise a réorganisé et restructuré (ce sont le mot et l'action magiques...), ceci en vue d'augmenter les bénéfices lorsqu'il y a une faible croissance. Pour cela, suppression d'une usine au Mexique, et suppression de 6500 emplois en 2011 auxquels s'ajoutent 1300 supressions en juillet 2012. , d'où baisse des coûts de 3,8% et baisse des tarifs .
Parrallèlement Cisco réembauche 1400 nouveaux salariés, dont 500 jeunes diplômés.
On ne sait pas tout, mais il y a fort à parier que le personnel "restructuré" doive fournir un effort supplémentaire et être plus productif. Egalement ont sûrement été remerciés les ouvriers les plus "contestataires". Enfin les nouveaux venus sont sûrement moins payés que les anciens. Tous les ingrédients d'une hausse de la plus value donc de l'exploitation.
Sûrement 6000 emplois en moins au Mexique, cela ne s'entend pas dans le monde, et que nous importe la situation des salariés méxicains.!!
Il est intéressant de mettre ceci en rapport avec la situation générale au Mexique: Chômage massif, misère dans certaines zones, d'où industrie de la drogue, trafics en tous genres, guerre des gangs pour conserver le marché, armée transformée en mafia, l'ancien parti au pouvoir étant revenu, la mafia peut se développer.... Calderon veut continuer à militariser le conflit avec les gangs de la drogue..
La drogue se vend aux USA aussi librement que les armes et donc sans contrôle. Pour la forme Les USA protestent, et prennent prétexte de cela pour intervenir en Amérique centrale et du sud, dans le but, disent-ils, d'éradiquer la production de la drogue. On connait la chanson. Cela est si vrai qu'une caravane de militants méxicains et américains va faire 9400 km à la frontière en bus pour "exiger que le gouvernement US contrôle la consommation de la drogue".
Cette situation permet aux USA de vendre des armes au gouvernement mexicain et.... à la mafia: tout bénéfice !!! 80% des armes de la mafia proviennent des USA. Les mexicains dénoncent le trafic d'armes américaines ! (Le Monde du 14 août)
Ainsi les USA ont profité du Mexique sur toute la ligne: des entreprises "maquiladoras" américaines au Mexique il y a 20 ans pour salariés précaires mal payés, puis fermetures de la plupart de ces usines, enfin ouvertures et fermetures d'autres entreprises, au gré des profits américains, misère et désarroi, drogues, trafic d'armes... Tout y est.
Le 17-8-12